Nuit d’avril

I

Les étoiles, lueur bleuâtre,
Flambent au ciel limpide et froid,
Ranimons la flamme dans l’âtre
De notre paradis étroit.

Pas de lampes, pas de bougies ;
Le foyer tient lieu de flambeau.
Moins lumineuses que rougies,
Les choses ont un ton plus beau.

Le foyer pique des paillettes
Aux angles, dans les coins obscurs ;
La boiserie a des facettes
Qui scintillent le long des murs.

Le feu vif saute ; l’effet bouge.
Tout près du centre rayonnant,
Dans la lumière claire et rouge,
Avec un relief étonnant,

Une forme blanche et suave,
Une femme couleur de lis,
Dans une sérénité grave
Étend ses membres accomplis.

Elle emplit de clarté la chambre
Comme une ardente vision :
On dirait du lait et de l’ambre,
On la prendrait pour un rayon.

II

Sur des coussins elle repose
Le marbre éclatant de son corps
Avec de grands bonheurs de pose,
Avec un art exquis d’accords.

La tête ressort, pâle et fine,
Dans son opulent cadre noir ;
Une grâce souple l’incline
Aux mollesses du nonchaloir.

Le front veiné comme une agate
Semble poli par le ciseau,
Et la narine délicate
Bat de l’aile comme un oiseau.

La bouche sourit immobile.
Les lèvres, franges de corail,
Font valoir, antithèse habile,
Des dents saines le riche émail.

L’œil, brillant d’un éclat humide,
Étale la calme beauté
D’un iris bleu, large et limpide,
Brûlant de froide volupté.

Admirable tête d’étude,
Sans un détail capricieux !
Début du poème, prélude
De ce beau corps harmonieux !

III

La gorge nubile se dresse,
Et, formant un angle arrondi,
Laisse à regret, lente caresse,
Glisser le peignoir attiédi.

Les hanches soutiennent le buste
Comme un piédestal triomphant.
La jambe nerveuse et robuste
Est terminée en pied d’enfant.

En Grèce, c’était Aspasie ;
C’était, à Rome, Impéria.
C’est un livre de poésie
Qu’un matin Paris publia.

Ange, courtisane, madone,
Hymne de chair, Vierge ou Vénus,
Qui romps le moule monotone
Des amours laids et mal venus ;

Peinture superbe, statue
Conçue avec un art savant,
D’où jaillit le désir, qui tue
Mieux que le plaisir décevant ;

Femme, splendeur de la matière !
Il te suffit pour nous brûler,
Étant déesse tout entière,
De laisser ton sang circuler.

IV

Ton immobilité veut dire
Grâce. Ton œil profond sourit,
Et c’est un mot que ce sourire.
Tes gestes sont des traits d’esprit.

Tes lèvres ont beau rester closes :
Elles causent divinement.
Elles parlent comme les roses
Un muet langage charmant.

Ton souffle pur est-il une âme ?
Qu’importe ? Si l’accord sacré
Unit nos bouches et les pâme
Dans un long bonheur effaré.

La glace blanche s’est fondue,
La moelle en feu brûle les os…
La panthère s’est détendue,
Rompant les lignes du repos.

Le bras rond qui pendait inerte
Se replie et forme des nœuds ?
La bouche palpite entr’ouverte.
Le spasme clôt l’œil lumineux…

Et dehors, dans la nuit mystique,
Tressaillent la terre et les cieux
Qui font l’amour, sainte pratique,
Dans un accord mélodieux.

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Albert Mérat Apprenti Poète

Par Albert Mérat

Albert Mérat, né le 23 mars 1840 à Troyes et mort le 16 janvier 1909 en son domicile dans le 14 arrondissement de Paris, est un poète français.

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