Déclaration

Femme, sitôt que ton regard
Eut transpercé mon existence,
J’ai renié vingt espérances,
J’ai brisé, d’un geste hagard,
Mes dieux, mes amitiés anciennes,
Toutes les lois, toutes les chaînes,
Et du passé fait un brouillard.

J’ai purifié de scories
Mes habitudes et mes goûts ;
J’ai précipité dans l’égout
D’étourdissantes jongleries ;
J’ai vaincu l’effroi de la mort,
Je me suis voulu libre et fort,
Beau comme un prince de féerie.

J’ai franchi les rires narquois,
Subi des faces abhorrées,
Livré mes biens à la curée
Afin de m’approcher de toi.
Devant moi hurlaient les menaces,
J’ai méprisé leurs cris voraces
Et j’ai marché, marché tout droit.

J’ai découvert, pour mon offrande,
Un monde fertile en plaisirs ;
J’ai pesé tes moindres désirs,
Je sais où vont les jeunes bandes,
Je connais théâtres et bals ;
J’ai dans les mains un carnaval,
Dans le coeur, ce que tu demandes.

Pour la rencontre, j’ai prévu
Quand je pourrais quitter l’ouvrage,
La route à suivre, un temps d’orage,
Et jusqu’au perfide impromptu.
J’ai tremblé que point ne te plaisent
Les tapis, les miroirs, les chaises.
J’ai tout préparé, j’ai tout vu.

J’ai mesuré mon art de plaire,
Mes faiblesses et ma fierté,
Les mots, l’accent à leur prêter ;
J’ai calculé d’être sincère,
Triste ou gai, confiant, rêveur.
Je me suis paré de pudeur,
De force et de grâce légère.

Et me voici, prendsmoi, je viens
Frémissant, comme au sacrifice,
T’offrir, à toi l’inspiratrice,
Mon être affamé de liens,
Mon être entier qui te réclame.
Donne tes mains, donne ton âme,
Tes yeux, tes lèvres… Je suis tien.

Les alternances

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Alphonse Beauregard Apprenti Poète

Par Alphonse Beauregard

Né à La Patrie (Compton en Québec) le 5 janvier 1881, Alphonse Beauregard doit abandonner ses études à la mort de son père. Il pratique alors divers métiers, tout en publiant des poèmes dès 1906 dans quelques journaux et revues (parfois sous pseudonyme de A. Chasseur). Il prend une part active à la rédaction du Terroir et devient secrétaire de l'école littéraire de Montréal, tout en travaillant comme commis au port de Montréal. À peine élu président de l'école, il meurt asphyxié au gaz le 15 janvier 1924. Son poème « Impuissance » est paradoxalement un des plus puissants de cette époque.

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