Le Pâtre de la nuit

De qui surveillaitil les troupeaux ? On ne sait.

Mais, chaque soir, à l’heure où le soleil baissait,
Sur le RocTrévézel on le voyait paraître,
Debout, dans l’attitude immobile d’un prêtre
En oraison devant l’Esprit de ce hautlieu…
Le couchant s’éteignait dans le firmament bleu
Et les ombres des monts, en nappes déroulées
Du front chauve des cairns au sein vert des vallées,
S’épandaient comme un fleuve aux larges eaux, sans bruit
Que buvait cette mer de ténèbres la nuit.

***

Alors, tandis qu’épars sur les gazons des pentes
Erraient les boucs lascifs et les chèvres grimpantes,
Lui, l’homme, il entonnait, pour se sentir moins seul,
Quelque chant qu’un aïeul apprit à son aïeul.
L’air en était si pur, si fervent et si tendre
Que les tourbiers du Yeun s’attardaient à l’entendre,
Heureux de respirer dans l’espace muet
Le peu de songe humain qu’il y perpétuait.

***

Or, un soir, la complainte à peine commencée
Suspendit tout d’un coup son vol, l’aile cassée
Un silence panique enveloppa les cieux ;
Ressaisis par la peur primitive, anxieux
De cet abîme noir, sans vie et sans haleine,
Ce fut en vain que les chemineurs de la plaine
Réclamèrent aux monts les accents du chanteur.
Il se tenait toujours debout sur la hauteur,
Mais l’âme indifférente aux êtres comme aux choses.

Et sa voix gisait morte entre ses lèvres closes.

***

On raconta plus tard que, rêveur éveillé,
La nuit, ô pâtre élu, t’avait émerveillé
En laissant à tes yeux choir ses ultimes voiles…
Tu fus celui qui, le premier, vit les étoiles
Décrocher des arceaux du ciel leurs lampes d’or
Et dans l’éther béant monter, monter encor,
Sans fin, tel un cortège innombrable de vierges
Allant à quelque autel d’enhaut vouer leurs cierges
Par delà des azurs insoupçonnés d’en bas.
Une immense harmonie accompagnait leurs pas,
Selon les lois d’un rythme inconnu de la terre…
Ainsi te fut, diton, révélé le mystère
Dont nul autre avant toi n’avait été troublé :
Le vide universel s’était soudain peuplé,
Les mondes en chantant traversaient l’étendue.

Et, devant leur chanson, la tienne s’était tue.

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Anatole Le Braz Apprenti Poète

Par Anatole Le Braz

Anatole Le Braz, né Anatole Jean François Marie Lebras, le 2 avril 1859 à Duault (Côtes-d'Armor) et mort le 20 mars 1926 à Menton, est un professeur de lettres, un écrivain et un folkloriste français de langue bretonne, mais n'ayant publié qu'en français, alors qu'il maîtrisait le breton dans lequel il a écrit des poésies restées presque entièrement inédites. Sa thèse de doctorat de lettres est consacrée au théâtre en breton médiéval et renaissant. Il prend une part très importante dans le mouvement régionaliste en Bretagne à la fin du xixe siècle et au début du siècle suivant. Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1897. Il participe comme conférencier au cours de nombreuses tournées au lancement de l'Alliance française aux États-Unis.

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