Le cinq mai

Il n’est plus ; enfin sa grande âme !
Du corps qu’elle embrasait vient d’exiler sa flamme ;
Il n’est plus, a-t-on raconté,
Et la terre immobile écoute à son passage
Ce récit que bientôt de rivage en rivage
Tous ses échos ont répété.

Par ce géant qui l’a foulée,
Jusqu’en ses fondements même encore ébranlée,
Elle doute, après son trépas,
Que, la bouleversant de nouveau tout entière,
Un autre pied mortel jamais sur sa poussière
Laisse l’empreinte d’un tel pas.

Je me suis imposé silence
Lorsqu’aux pieds de son trône, aux jours de sa puissance,
Il abaissait l’orgueil des rois ;
Et quand la main du sort l’eut poussé dans l’abîme,
Aux voix qu’on entendit accuser la victime
Je n’ai pas réuni ma voix.

Mais de ce sanglant météore
Si je n’ai salué le déclin ni l’aurore, –
Je le chante sans me flétrir, –
Aujourd’hui que des cieux pour jamais il retombe ;
Et cet hymne dernier jeté sur une tombe
Peut-être ne doit pas mourir !

Des Alpes jusqu’aux Pyramides,
Du Tage au Rhin, partout, inflexibles, rapides
Ses foudres ont sillonné l’air ;
Il courba sous son joug l’Europe désarmée,
Et l’étendard nouveau qui guidait son armée
Flotta de l’une à l’autre mer.

Était-ce bien la de la gloire ?
L’avenir seul, un jour, d’une telle mémoire
Mesurera la profondeur.
Nous, adorons ce Dieu, créateur toujours sage,
Qui voulut imprimer a ce puissant ouvrage
Quelque chose de sa grandeur.

En vain la faveur populaire
Jette sur son manteau la pourpre consulaire,
C’est plus haut qu’il s’est élancé ;
Il faut à son orgueil une autre récompense,
On lui doit ce pouvoir dont la seule espérance
Semble encore un rêve insensé.

Empire, exil, fuite, victoire,
Grandeurs, néant, voilà sa vie et son histoire ;
Voilà les pas dont ce mortel
A marqué parmi nous sa fatale carrière :
Nous l’aurons vu deux fois jeté dans la poussière,
Deux fois élevé sur l’autel.

Il s’est nommé, voilà son titre ;
Et deux siècles rivaux, le prenant pour arbitre,
Se soumettent à son arrêt.
Les peuples désarmés s’approchent en silence ;
Et lui, pour prononcer de plus haut leur sentence,
Sur un trône il leur apparaît.

Il tombe, et d’implacables haines
Ne se désarment pas en mesurant les chaînes
Qui l’attachent à son rocher ;
Rois geôliers, sa prison n’est pas assez profonde
Dans son lointain exil, a la pitié du monde
L’Océan n’a pu le cacher.

Tel qu’emporté par la tempête,
Le matelot mourant repousse de sa tête
Les flots dont il est oppressé ;
Cet autre naufragé, comme une mer de flamme,
Sentait aussi tomber et peser sur son âme
Le poids énorme du passé.

Que de fois comprenant sans doute
Qu’à la postérité, ce juge qu’il redoute,
Lui seul pouvait se raconter,
De sa vie immortelle il commença l’histoire,
Et soudain, au milieu d’un récit de victoire,
Il sentit sa main s’arrêter.

Que de fois la grève sauvage
Le vit errer le soir, seul, lançant au rivage
L’éclair de ses brûlants regards ;
Puis, les deux bras croisés, s’arrêter, hors d’haleine,
En proie aux souvenirs dont l’attaque soudaine
Fondait sur lui de toutes parts.

Embrassant d’un coup d’œil immense
Ces plaines où deux camps, vingt peuples en présence,
L’environnaient comme autrefois ;
D’un geste il déchaînait les foudres enflammées ;
Les rangs, les escadrons, les drapeaux, les armées,
S’ébranlaient encore à sa voix.

A l’aspect de tant de carnage,
Ah ! Peut-être il sentit défaillir son courage ;
Il mourait sans rien espérer :
Mais une main d’en haut, mais une main puissante,
L’emporta sous des cieux où son âme tremblante
Avait besoin de respirer.

Jusques aux sphères immortelles,
Par des sentiers nouveaux, loin des routes mortelles,
Il avait été transporté ;
Il avait entrevu ce séjour où le monde
A ses vains bruits n’a plus un écho qui réponde,
Où sa lumière est sans clarté !

Sur l’or de tes saints tabernacles,
Grave encore ce miracle entre tous tes miracles,
Eternelle, adorable Foi !
Parmi ces fiers vaincus dont tu gardes mémoire,
Jamais géant pareil, jamais semblable gloire,
Ne s’étaient courbés devant toi.

Il est tombé, viens le défendre ;
Avant qu’a son exil la mort vînt le reprendre,
Dans son cœur tes clartés ont lui :
Le Dieu qui fait les rois et brise leur bannière,
Le Dieu fort et clément sur sa couche dernière
À daigné descendre pour lui.

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Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par Antoine Fontaney

Antoine-Étienne Fontaney, né en 1803 et mort à Paris le 11 juin 1837, est un écrivain, journaliste et poète romantique français.

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