La Solitude

Charmante et paisible retraite,

Que de votre douceur je connois bien le prix !

Et que je conçois de mépris

Pour les vains embarras dont je me suis défaite !

Que sous ces chênes verts je passe d’heureux jours !

Dans ces lieux écartés que la nature est belle !

Rien ne la défigure ; elle y garde toujours

La même autorité qu’avant qu’on eût contre elle

Imaginé des lois l’inutile secours.

Ici le cerf, l’agneau, le paon, la tourterelle,

Pour la possession d’un champ ou d’un verger,

N’ont point ensemble de querelle ;

Nul bien ne leur est étranger ;

Nul n’exerce sur l’autre un pouvoir tyrannique ;

Ils ne se doivent point de respects ni de soins ;

Ce n’est que par les noeuds de l’amour qu’ils sont joints,

Et d’aïeux éclatans pas un d’eux ne se pique.
Hélas ! Pourquoi faut-il qu’à ces sauvages lieux

Soient réservés des biens si doux, si précieux ?

Pourquoi n’y voit-on point d’avare, de parjure ?

N’est-ce point qu’entre vous, tranquilles animaux,

Tous les biens sont communs, tous les rangs sont égaux,

Et que vous ne suivez que la seule nature ?

Elle est sage chez vous qui n’êtes point contraints

Par une loi bizarre et dure.

Quelle erreur a pu faire appeler les humains

Le chef-d’oeuvre accompli de ses savantes mains !

Que pour se détromper de ces fausses chimères,

Qui nous rendent si fiers, si vains,

On vienne méditer dans ces lieux solitaires.

Avec étonnement j’y vois

Que le plus petit des reptiles,

Cent fois plus habile que moi,

Trouve pour tous ses maux des remèdes utiles.

Qui de nous, dans le temps de la prospérité,

A l’active fourmi ressemble ?

A voir sa prévoyance, il semble

Qu’elle ait de l’avenir percé l’obscurité,

Et qu’étant au-dessus de la foiblesse humaine,

Elle ne fasse point de cas

De tout ce qu’étale d’appas

La volupté qui nous entraîne.

Quels états sont mieux policés

Que l’est une ruche d’abeilles ?

C’est là que les abus ne se sont point glissés,

Et que les volontés en tout temps sont pareilles.

De leur roi, qui les aime, elles sont le soutien ;

On sent leur aiguillon dès qu’on cherche à lui nuire ;

Pour les châtier il n’a rien :

Il n’est roi que pour les conduire,

Et que pour leur faire du bien.

En vain notre orgueil nous engage

A ravaler l’instinct qui, dans chaque saison,

A la honte de la raison,

Pour tous les animaux est un guide si sage.

Ah ! N’avons-nous pas dû nous dire mille fois,

En les voyant être heureux sans richesse,

Habiles sans étude, équitables sans lois,

Qu’ils possèdent seuls la sagesse ?

Il n’en est presque point dont l’homme n’ait reçu

Des leçons qui l’ont fait rougir de sa foiblesse,

Et, quoiqu’il s’applaudisse, il doit à leur adresse

Plus d’un art que, sans eux, il n’auroit jamais su.

Innocens animaux, quelle reconnoissance

Avons-nous de tant de bienfaits ?

Des présens de la terre, hélas ! Peu satisfaits,

Nous vous sacrifions à notre intempérance.

Quelle inhumanité ! Quelle lâche fureur !

Il n’est point d’animal dont l’homme n’adoucisse

La brutale et farouche humeur,

Et de l’homme il n’est point d’animal qui fléchisse

Le cruel et superbe coeur.

De quel droit, de quel front est-ce que l’on compare

Ceux à qui la nature a fait un coeur barbare

Aux ours, aux sangliers, aux loups ?

Ils sont moins barbares que nous.

Font-ils éprouver leur colère

Que lorsque d’un chasseur avide et téméraire

Le fer ennemi les atteint,

Ou que lorsque la faim les presse et les contraint

De chercher à la satisfaire ?

Vaste et sombre forêt, leur séjour ordinaire,

N’est-ce, en vous traversant, que leur rage qu’on craint ?

Hélas ! Combien de fois cette nuit infidèle

Que vous offrez contre l’ardeur

Dont au milieu du jour le soleil étincelle

A-t-elle été fatale à la jeune pudeur !

Hélas ! Combien de fois, complice

Et de meurtres et de larcins,

A-t-elle dérobé de brigands, d’assassins

Et d’autres scélérats aux yeux de la justice !

Combien avez-vous vu de fois

Le frère, armé contre le frère,

Faire taire du sang la forte et tendre voix,

Et dans l’héritage d’un père

Par le crime acquérir de légitimes droits !

Parlez, forêts ; jadis une de vos semblables

Daigna plus d’une fois répondre à des mortels :

Quelles fureurs aussi coupables

Pouvons-nous reprocher à vos hôtes cruels ?

Si quelquefois entre eux une rage soudaine

Les porte à s’arracher le jour,

Ce n’est point l’intérêt, l’ambition, la haine

Qui les anime ; c’est l’amour.

Lui seul leur fait troubler votre sacré silence ;

Amoureux, rivaux et jaloux,

Leur coeur ne peut souffrir la moindre préférence ;

La mort leur semble un sort plus doux.

D’une si belle excuse, au dur siècle où nous sommes,

On ne peut déguiser les maux que nous faisons ;

Non, des meurtres sanglans, des noires trahisons,

L’amour ne fournit plus aux hommes

Les violens conseils ni les tendres raisons.

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Antoinette Deshoulières Apprenti Poète

Par Antoinette Deshoulières

Antoinette de Lafon de Boisguérin des Houlières ou Deshoulières, née Antoinette du Ligier de la Garde fin décembre 1637 à Paris, décédée le 17 février 1694, est une femme de lettres française.

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Contralto

Nous sommes en des temps infâmes