Vérité

Quoi! vous êtes la Vérité!

Dis-je à la déesse pensive

Qui, sans nulle sévérité,

Riait, laissant voir sa gencive.
Il se peut que ce soit un fait

Et que votre grâce ingénue

Porte ce nom, car, en effet,

Je vous vois nue, ou presque nue.
Comme au bout du compte, je puis

Croire à cette histoire un peu roide,

Peut-être sortez-vous d’un puits,

Caressée encor par l’eau froide.
Car les collines de vos seins,

Entièrement libres de voiles,

Manifestent leurs purs dessins

Et brillent comme des étoiles.
Vous avez, en sortant de l’eau,

Deux bras de plus que n’en possède

La grande Vénus de Milo,

Cette guerrière à qui tout cède.
J’admire vos robustes flancs,

Et moi, le mélodieux chantre

Des lys, je célèbre les plans

Harmonieux de votre ventre.
Oui, je n’ai, dit-elle, hérité

D’aucune parure connue.

Étant déesse et Vérité,

Il convient que je reste nue.
Je prends un plaisir infini

A perpétuer ma coutume

Et je m’y tiens, Bianchini

M’ayant dessiné ce costume.
Oui, dis-je, sur ces purs sommets

Oh! que de neige éparpillée,

Frissonnante déesse, mais

Comme vous êtes maquillée!
Comme les filles qui, la nuit,

S’en vont flirter dans quelque bouge,

Vous avez, et cela vous nuit,

Beaucoup trop de blanc et de rouge.
Et sans compter les traits subtils

Des crayons bleus qui font les veines,

De faux sourcils et de faux cils

Vous ornent de leurs grâces vaines.
Oui, dit la déesse, ma peau

A besoin d’un soupçon de rose,

Que je pose là, comme appeau.

Et pourtant, c’est bien quelque chose,
Quand il fait du soleil, je mets

En liberté ma toison blonde.

Et je suis la Vérité, mais

La Vérité, femme du monde.
En un milieu select, et d’où

L’Amour s’enfuit, tirant ses grègues, –

Ainsi qu’en un gai paradou

Je folâtre avec mes collègues.
Feuilletant les divers Bottins,

Qui de jour en jour s’exagèrent,

Nous accueillons tous les potins

Que tant de noms épars suggèrent.
Loin du sexe laid, à l’écart,

Nous ourdissons de belles trames,

Car à cinq heures, pour le quart,

Nous prenons des thés entre femmes.
On a beau dire: O Jeux! O Ris!

O Candeur! si je vous imite,

C’est grâce à la poudre de riz. –

La poudre de riz est un mythe.
C’est de vrai blanc, du blanc de zinc,

Pareil à celui des actrices,

Que nous montrons aux thés de cinq

Heures. O Nymphes protectrices!
Nos appas du temps sont vainqueurs

Et ne craignent aucune rouille,

Et comme on ne voit pas les coeurs,

Ni vu, ni connu, je t’embrouille!
25 novembre 1890.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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La chanson du nuage

Madrid 1936