La chance

En tes rêves, en tes pensées,
En ta main souple, en ton bras fort,
En chaque élan tenace où s’exerce ton corps
La chance active est ramassée.

Dis, la senstu, prête à bondir
Jusques au bout de ton désir ?
La senstu qui t’attend, et te guette et s’entête
A éprouver quand même, et toujours, et encor
Pour ton courage et pour ton réconfort
Le sort ?

Ceux qui confient aux flots et leurs biens et leurs vies
N’ignorent pas qu’elle dévie
De tout chemin trop régulier ;
Ils se gardent de la lier
Avec des liens trop durs au mât de leur fortune ;
Ils savent tous que, pareille à la lune,
Elle s’éclaire et s’obscurcit à tout moment
Et qu’il faut en aimer la joie et le tourment.

En tes rêves, en tes pensées,
En ta main souple, en ton bras fort,
En chaque élan tenace où s’exerce ton corps
La chance active est ramassée.

Et tu l’aimes d’autant qu’elle est risque et danger,
Que balançant l’espoir comme un levier léger
Elle va, vient et court au long d’un fil qui danse.
Il n’importe que le calcul et la prudence
Te soient chemins plus sûrs pour approcher du but.
Tu veux l’effort ardent qui ne biffe et n’exclut
Aucune affre crédule au seuil de la victoire
Et tu nourris ainsi comme malgré toi
Ce qui demeure encor de ton ancienne foi
En ton vieux coeur contradictoire.

La chance est comme un bond qui s’ajoute à l’élan
Et soudain le redresse au moment qu’il s’affaisse.
Elle règne au delà, de la stricte sagesse
Et de l’ordre précis, minutieux et lent.
Elle est force légère et sa présence allie
On ne sait quelle intense et subtile folie
Au travail ponctuel et chercheur des cerveaux.
Elle indique d’un coup le miracle nouveau.
Les hommes que la gloire aux clairs destins convie
Ont tous, gràce à son aide, incendié leur vie
De la flamme volante et rouge des exploits.
Ils ont crié que la fortune était leur droit
Et l’ont crié si fort qu’ils ont fini par croire
Qu’ils tenaient l’aile immense et blanche des victoires
Sous les poings rabattus de leur ténacité.
Oh ! dis, que n’auraientils réussi ou tenté
En notre âge d’orgueil, de force et de vertige
Où le monde travaille à son propre prodige ?

En ta main souple, en ton bras fort,
En chaque élan tenace où s’exerce ton corps,
En tes rêves, en tes pensées,
La chance active est ramassée.

Les flammes hautes

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Émile Verhaeren Apprenti Poète

Par Émile Verhaeren

Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française.

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