C’était à la fin…

C’était à la fin d’une journée bleue, tiède et claire.

Un piano chantait dans ces quartiers blancs et neufs

où les lauriers, les grilles, les sycomores trembleurs

font penser à des amours de pensionnaires.
Les vignes-vierges, comme des cordes de piments rouges,

rampaient dans le vent triste comme une flûte,

qui soufflait doucement dans le crépuscule,

à cette heure où, comme les cœurs, les feuilles bougent.
Mon âme, que ce soit le matin ou le soir,

aime les grands murs blancs qui ont des lèvres de roses.

Elle aime les portes fermées qui gardent des choses

qui s’enfoncent dans l’ombre où est la véranda.
Amaryllia se promenait à mon côté.

Soucieuse, elle saisit ma canne d’ébène,

comme en devaient avoir, au déclin des Étés,

les vieux rêveurs comme Bernardin de Saint-Pierre.
Elle me regarda et dit : « Comme je t’aime…

Je ne me lasse pas de répéter ces mots…

Dis-moi encore que tu m’aimes ». Je dis : « Je t’aime… »

Et mon cœur tremblait comme de noirs rameaux.
Il me sembla alors que mon amour pour elle

s’échappait en tremblant dans le jour rose et mûr,

et que j’allais fleurir, derrière les doux murs,

les sabres des glaïeuls dans les tristes parterres.
Vers elle, je penchai ma lèvre, mais sans prendre

le baiser qu’elle s’attendait à recueillir.

Ce fut plus tendre encore qu’une guêpe chantante

qui voudrait sans vouloir se poser sur un lys.
C’était l’heure où l’on voit les premières lumières

éclairer la buée des vitres, dans les chambres

où, penchés sur un atlas clair, les écoliers

peignent l’Océanie avec des couleurs tendres.
Amaryllia me dit : « Ah ! les petites riches…

En voici deux qui rentrent avec l’institutrice… »

Alors mon cœur devint grave comme l’Évangile,

en entendant ces mots, et triste à en mourir.
Ô mon Dieu ! Je crus voir, à plus de vingt ans de là,

la petite enfant que fut Amaryllia.

Ah ! elle était sans doute un peu pauvre et malade…

Ô Amaryllia ! Dis ? Où est ton cartable ?
Et, au moment où les enfants riches passèrent,

je me sentis trembler au bras de mon amie.

Mon cœur se contractait à la pensée d’un Christ

qui n’appelait à lui que les fils d’ouvriers.

1897.

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Francis Jammes Apprenti Poète

Par Francis Jammes

Francis Jammes, né à Tournay le 2 décembre 1868 et mort à Hasparren le 1ᵉʳ novembre 1938, est un poète, romancier, dramaturge et critique français. Il passa la majeure partie de son existence dans le Béarn et le Pays basque, principales sources de son inspiration.

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