Les Alpes ou l’Italie

Donc reconnaissez-vous au fond de vos abîmes

Ce voyageur pensif,

Au cœur triste, aux cheveux blanchis comme vos cimes,

Au pas lent et tardif ?
Jadis de ce vieux bois, où fait une eau limpide,

Je sondais l’épaisseur

Hardi comme un aiglon, comme un chevreuil rapide,

Et gai comme un chasseur.
Alpes, vous n’avez point subi mes destinées !

Le temps ne vous peut rien;

Vos fronts légèrement ont porté les années

Qui pèsent sur le mien.
Pour la première fois, quand, rempli d’espérance,

Je franchis vos remparts,

Ainsi que l’horizon, un avenir immense

S’ouvrait à mes regards.
L’Italie à mes pieds, et devant moi le monde,

Quel champ pour mes désirs !

Je volai, j’évoquai cette Rome féconde

En puissants souvenirs.
Du Tasse une autre fois je revis la patrie :

Imitant Godefroi,

Chrétien et chevalier, j’allais vers la Syrie

Plein d’ardeur et de foi.
Ils ne sont plus ces jours que point mon cœur n’oublie,

Et ce cœur aujourd’hui

Sous le brillant soleil de la belle Italie,

Ne sent plus que l’ennui.
Pompeux ambassadeurs que la faveur caresse,

Ministres, valez-vous

Les obscurs compagnons de ma vive jeunesse

Et mes plaisirs si doux ?
Vos noms aux bords riants que l’Adige décore

Du temps seront vaincus,

Que Catulle et Lesbie enchanteront encore

Les flots du Bénacus.
Politiques, guerriers, vous qui prétendez vivre

Dans la postérité,

J’y consens : mais on peut arriver sans vous suivre,

A l’immortalité.
J’ai vu ces fiers sentiers tracés par la Victoire,

Au milieu des frimas,

Ces rochers du Simplon que le bras de la Gloire

Pendit pour nos soldats :
Ouvrage d’un géant, monument du génie,

Serez-vous plus connus

Que la roche où Saint-Preux contait à Meillerie

Les tourments de Vénus ?
Je vous peignis aussi, chimère enchanteresse,

Fictions des amours !

Aux tristes vérités le temps, qui fuit sans cesse,

Livre à présent mes jours.
L’histoire et le roman font deux parts de la vie,

Qui si tôt se ternit :

Le roman la commence, et lorsqu’elle est flétrie

L’histoire la finit.

1822
François-René de Chateaubriand, Poésies diverses

Voter pour ce poème!

Avatar Apprenti Poète

Par Francois-Rene de Chateaubriand

François-René, vicomte de Chateaubriand, né à Saint-Malo le 4 septembre 1768 et mort à Paris le 4 juillet 1848, est un écrivain et homme politique français. Il est considéré comme l'un des précurseurs du romantisme français et l'un des grands noms de la littérature française.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Partagez vos rêves et vos vers comme Rimbaud, et transformez notre forum en une éternelle saison des poètes.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Ballade du Roi des Gueux

Réponse d’un sage