Fontainebleau

I.

Ô mes concitoyens, que notre histoire est belle !
De quels récits brillants elle enivre nos cœurs !
Que de fois elle y va, par ses accents vainqueurs,
D’un courage endormi réveiller l’étincelle !
Dans ses feuillets brûlants si l’œil erre parfois,
Un charme impérieux de plus en plus l’engage,
Et l’entraîne de page en page,
De triomphe en triomphe, et d’exploits en exploits :
On ne respire plus ; la paupière attendrie
Roule une larme de plaisir,
Et, plein du noble orgueil qui vient de le saisir,
Tout le Français palpite, et dit : « C’est ma patrie ! »
Mais, plus on fut sensible à ses honneurs passés,
Plus du revers qui suit la lecture est amère ;
Plus on gémit de voir ses beaux jours effacés,
Et ses aigles sacrés traînés dans la poussière.
Que l’on maudit alors les citoyens ingrats !
Qui trafiquèrent de ses larmes ;
Car en ce temps l’honneur ne quitta point ses armes,
Et son abaissement ne la dégrada pas :
Non, ses mourants efforts, consignés dans l’histoire,
Y brilleront d’assez d’éclat
Pour lui recomposer une nouvelle gloire :
Mais, pour les hommes vils qui vendirent l’état,
Clio gardera-t-elle une page assez noire ?
Ah ! si du dernier scélérat,
Dans ses tableaux vengeurs la place est assignée,
Plus bas, plus bas encore, qu’elle ose les placer ;
Et, quel que soit leur rang, que la page indignée
Ne reçoive leurs noms, que pour les dénoncer !

II.

Oui, sans la trahison de ces hommes perfides,
Qui, par l’or des tyrans depuis longtemps soumis,
Livrèrent, sans combats, au joug des ennemis
Leurs concitoyens intrépides,
Contre nos légions, en vain les potentats
Eussent amoncelé des millions de soldats…
Loin des nobles remparts promis à la vengeance
On eût vu, sans honneur, s’éloigner leurs drapeaux,
Ou leur barbare espoir n’eût conquis dans la France,
Que des prisons et des tombeaux.

Infructueux efforts des braves !
Coups d’un bras affaibli, dont le glaive est brisé !
Derniers élancements d’un courage épuisé,
Qui se débat dans les entraves !…
Que pouviez-vous, hélas ! contre le sort cruel,
Quand il eut prononcé son arrêt inflexible ?….
La chute est belle, mais terrible
Pour celui qui tombe du ciel !

Français ! cette lutte avec la destinée,
Conserva cependant votre honneur tout entier ;
Et plus d’une grande journée,
Vint joindre à des cyprès un éclatant laurier :
Jamais, en vos jours de victoire,
Il n’eût été si noble et si bien mérité,…
Tant votre défaite eut de gloire,
Votre chute de majesté !

III.

Mais silence ! silence ! une imposante image
Se déroule devant nos yeux ;
L’aigle national, précipité des cieux,
Se débat au sein de l’orage ;
Frappé d’un trait empoisonné,
Bientôt il roule dans la poudre,
À son ongle échappe la foudre,
Et son front s’est découronné.

Ne cherchez plus aux cieux le héros, que naguère
Le sort intronisa roi des rois de la terre ;
Ce sceptre colossal est tombé de ses mains :
Et l’on ne verra plus, au signal qu’il leur donne,
Se prosterner devant son trône,
Toute une cour de souverains.

C’est en vain qu’il menace et qu’il résiste encore,
Sa grandeur a passé comme un vain météore,
Comme un son qui dans l’air a long-temps éclaté ;
Peut-être que ce bruit, de la puissance humaine,
Avait frappé l’écho d’une rive lointaine…
Mais les vents ont tout emporté !

Il est temps ! il est temps ! jetez des cris d’ivresse,
Rois, qui rampiez à ses genoux ;
Vengez-vous de votre bassesse
En le rabaissant jusqu’à vous !
Il s’est livré lui-même à la fureur commune,
Osez le déchirer…. car il est sans appui ;
Et les lâches flatteurs qui grandirent sous lui,
L’ont renié dans l’infortune !

IV.

Napoléon frémit, mais n’est point abattu…
Car, qui peut imposer de borne à l’espérance ?
Il croit à sa fortune, il croit à la vengeance,
Et de mille pensers son cœur est combattu :
Il semble cependant qu’une plus vive flamme
Rallume son courage au milieu des revers,
Et que l’adversité qui frappe sur son âme
En ait fait jaillir des éclairs :
« Amis, dit-il, un jour viendra pour la vengeance,
Puisque la trahison la livre à ses tyrans,
Craignons de déchirer la France
En la défendant plus longtemps :
À notre épuisement, qu’on croit une défaite,
L’Italie offre encore une noble retraite,
Qu’on m’y suive et bientôt… »
Il n’a point achevé.
Car, au lieu d’enflammer, il ne fait que confondre ;
Et dans tous les regards, qui craignent de répondre,
Son œil cherchait l’espoir… et ne l’a pas trouvé.

Infidèle à sa gloire, en un moment flétrie,
Un guerrier a livré son maître et sa patrie ;
On l’apprend… Aussitôt tout est muet, glacé ;
Soit découragement, soit trahison, soit crainte,
Par un souffle de mort la valeur semble éteinte,
Et dans des cœurs français l’honneur semble effacé :
Que peut Napoléon, si rien ne le seconde ?
Partout abandonné, paralysé, trahi ;
Il voit que c’en est fait, que son règne est fini,
Et d’un seul trait de plume il abdique le monde !

V.

Le héros va partir ; mais il cherche des yeux
Quels seront les objets de ses derniers adieux :
Exilé loin d’un fils, d’une épouse qu’il aime,
Serait-il sans parents, comme sans diadème ?
Non ! près de lui restés, quelques braves soldats,
Pour la dernière fois se pressent sur ses pas.
Ces preux, feuillets vivants d’une héroïque histoire,
Semblent représenter tout un siècle de gloire ;
Et, de mille combats magnanimes débris,
Sur leurs corps mutilés les porter tous écrits :
Les voilà ses parents ! La voilà sa famille !
Une larme muette en leurs yeux roule et brille,
Tous leurs fronts sont levés, tous leurs bras étendus
Vers celui que sans doute ils ne reverront plus…
Touché de leur douleur, que lui-même il partage,
Napoléon s’arrête, et leur tient ce langage :

« Soldats, cédant aux coups du sort victorieux,
J’abandonne l’empire, et vous fais mes adieux ;
J’ai guidé vos drapeaux aux champs de la victoire…
M’avez-vous secondé ?… J’en appelle à l’histoire ! —
Mais ces temps ne sont plus, et trahissant leur foi,
Tous les rois mes sujets ont armé contre moi :
Les Français aux tyrans sont livrés par des traîtres,
Et même quelques-uns veulent de nouveaux maîtres :
Longtemps peut-être encore je pouvais avec vous
Des destins conjurés balancer le courroux,…
Mais la France eût souffert, et je lui sacrifie
Ma couronne, ma gloire, et, s’il le faut, ma vie :
Son bonheur est le mien… Je pars ; vous, mes amis,
Au monarque nouveau demeurez tous soumis ;
Ne plaignez pas mon sort ; loin des honneurs suprêmes
Je pourrai vivre heureux si vous l’êtes vous-mêmes. —
Mes ennemis diront que j’aurais dû mourir,
Mais il est d’un grand cœur de savoir tout souffrir…
D’ailleurs je puis encore attendre quelque gloire :
J’eus part à vos hauts faits, j’en écrirai l’histoire. »

« Je voudrais, sur mon cœur, pouvoir vous presser tous,
Votre aigle est près de moi, je l’embrasse pour vous :
Aigle, de nos exploits sublime spectatrice,
Que dans tout l’avenir ce baiser retentisse ! —
Vous, ne m’oubliez pas, voilà mon dernier vœu…
Mes amis ! mes enfants ! et toi, mon aigle…. adieu ! »

VI.

Tous les soldats debout gémissaient sur leurs armes ;
Le héros se dérobe à leurs cris, à leurs larmes,
Ce spectacle touchant, ces sublimes douleurs,
Aux étrangers présents ont arraché des pleurs :
Ô tableau déchirant ! ô regret magnanime !
Celui qui vous causa fut-il le dieu du crime ?
Français, fut-il un monstre au mal seul empressé ?
Fut-il ?… mais il suffit… Vos pleurs ont prononcé !

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Gérard de Nerval Apprenti Poète

Par Gérard de Nerval

Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval, est un écrivain et un poète français, né le 22 mai 1808 à Paris, ville où il est mort le 26 janvier 1855.

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