Gérard fromanger

Le peintre, si on le connaît, et surtout si on l’aime peut vous cacher sa peinture comme l’arbre la forêt.

Gérard Fromanger est tout jeune et l’était davantage quand je l’ai rencontré.

Il ne cachait pas ses toiles en se promenant devant, les commentant, disant qu’il ferait mieux, plus tard, comme tant d’autres. Tout simplement, il ne les montrait pas et en parlait rarement.

C’est un peintre comme ça, n’obéissant qu’à une nécessité secrète, exigeante mais heureuse et qui, un beau jour, vous invite à venir voir son atelier.

Et ses toiles.

Filles nues ou à peine vêtues, aux gestes rituels et mystérieux comme tous les gestes familiers, l’intensité de leur présence était surprenante, indéniable même si leur charme à « première vue » semblait vouloir dérouter le regard.

Elles apparaissaient imprécises, lointaines et disparaissaient pour, en un instant, réapparaître soudaines, immédiates, disparates et belles, comme de vrais êtres.

Enfants naturelles, elles avaient grandi ailleurs, mais à peu de chose près, en même temps que le peintre. Petites filles devenues modèles, puis femmes.

Gérard Fromanger, sans inquiétude apparente, comme sûr de lui, les retournait, silencieux et souriant, et les disposait à son gré.

De même qu’une maison n’est pas une machine à habiter, même si le peintre peint des machines un atelier n’est pas une machine, une usine à peindre.

Et ces filles vivaient là, sur les toiles comme chez elles, comme dans leur chambre ou celle d’un ami, le moins machinalement du monde.

Cependant, un jour, l’une d’elles, transportée, camionnée et transplantée devant un autre mur, celui d’un salon de peinture, ne semblait ni égarée ni dépaysée.

Elle continuait de vivre, elle était peinte pour cela et devant l’apparente immobilité de ceux qui la dévisageaient, surpris, indifférents, hostiles ou captivés, elle bougeait.

Elle écoutait ce qu’on disait d’elle, sur elle et surtout à côté, et lorsque quelqu’un – et c’était souvent – demandait : « Pourquoi est-ce gris, si gris? » bien que tout question ne mérite pas réponse, elle répondait :

– Maquillez-moi, retouchez-moi si le cœur critique vous en dit.

Celui qui regarde un tableau comme celui qui lit un livre en est toujours un peu l’auteur ou tout au moins le collaborateur.

Bien sûr, messieurs, du gris et sans doute auriez-vous préféré du carmin purulent diapré de blême rabattu et d’isabelle violacé?

Mais, que voulez-vous, il y a tant de gris dans le monde, une foule de gris!

Celui d’un portrait de Nadar n’est pas celui d’une prison de Piranèse et le gris d’un ciel de Provence surgis-sant dans les carrières des Baux est peut-être moins lumineux que, dans l’éclair d’un saut, le gris du ventre d’un petit-gris.

Mais je parle écureuil et non pas escargot, et si je parle sécateur c’est pour dire que les fleurs coupées, exposées au marché des Alpes-Maritimes, la lumière touristique de la Côte d’Azur les achève, les décolore et son soleil, comme le coiffeur un coup de peigne, leur donne le coup de grâce.

Mais d’autres, sans doute privilégiées, après leur dernier voyage, quand on les sort de leur petit cercueil de paille tressée et qu’on entrouvre leur suaire de papier, le gris des Halles de Paris les entoure, les caresse, les revigore et elles retrouvent leurs couleurs.

Leurs couleurs

Beaucoup des nôtres, presque toutes, à Paris aussi, un matin ont perdu les leurs.

C’est vrai.

Gérard Fromanger déjeunait dans un petit restaurant, non loin de chez lui, en face du marché lorsqu’on entendit les pompiers.

Gérard poursuivant son repas, écoutait le refrain rouge évoquant l’incendie quand un type du coin poussa la porte, entra et s’écria:

– Dis donc le peintre, il y a le feu chez toi!

Incrédule d’abord et croyant à une bonne plaisanterie «le peintre» sourit mais brusquement se leva.

On ne sait jamais, pourquoi pas?

On ne sait jamais, c’était exact.

Son atelier achevait de flamber et tout son travail n’était plus que cendres mouillées.

Mais dans le gris de ces cendres en s’en allant, le feu avait laissé une petite lueur pourpre.

Cette petite lueur pourpre éclaire les dernières toiles de Gérard Fromanger.

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