Elégie (2)

… Ah ! fille sans amour, ou du moins sans constance,
Pourquoy paissant mon coeur d’une vaine espérance,
Me jurastu jamais que mon feu te plaisoit,
Et qu’un mesme desir ta poitrine embrasoit ?
Pourquoy soufflant l’ardeur de ma flamme insensée
M’asseurastu jamais que j’estois ta pensée :
Et que ta seule amour bruslant trop vivement
Ne nous permettoit point d’aymer également ?
Si tu ne m’aymois point que te servoit la fainte
Dont tu trompois l’espoir d’une amitié si sainte !
Si vraiment tu m’aymois, pourquoy sans mon erreur
Astu pris ma constance et mon nom en horreur ?
Qu’ayje dict, qu’ayje faict, digne de ce supplice ?
Que je sache ma faute avant qu’on me punisse.
Qu’on ne me face point, par une injuste loy,
Mourir sous les tourments sans me dire pourquoy.
Ce saint et chaste feu de qui la pure flame
Ardoit incessamment sur l’autel de mon ame,
L’ayje laissé mourir, ou l’ayje violé
Par quelque feu prophane où mon coeur ait bruslé ?
Ma bouche t’accusant de ma mort inhumaine,
Ou ma main decrivant la rigueur de ma peine,
Ontelles contre toy lâché sans y penser
Quelque traict qui t’ait peu justement offenser ?
Helas ! et l’une et l’autre est trop accoustumée
A loüer la Beauté qui te rend estimée,
Mesme au fort des tourments dont tu gesnes ma foy,
Pour avoir en fureur blasphemé contre toy.
Aussi n’eust pas souffert le doux feu qui m’anime
Qu’un dépit m’eust rendu coulpable de ce crime :
Ma douleur l’eust commis, mon amour l’eust puny.
Je me fusse à jamais interdit la parole :
J’eusse bruslé ma main comme un autre Scevole :
Si mesme es passions ou plus l’ame s’aigrit
J’eusse blessé ton nom de bouche ou par escrit.

Mais tu ne me sçaurois reprocher cest’ offence,
Causant ton changement dessus mon imprudence :
Car j’en suis incoulpable, et de tout ce malheur
A toy seule est la faute, à moy seul la douleur.

Or vueillent, les destins que tu ne sois blessée
De repentir aucun en ta jeune pensée
Pour ce trait d’inconstance, et que t’en souvenir
Ce ne soit point un jour toymesme t’en punir.
Je ne desire point que ta peine me vange :
Assez suisje vangé de te voir perdre au change,
Et puis comme pourroit du mal te desirer
Un coeur qui n’a jamais appris qu’à t’adorer ?
Que l’eternel oubly de ta jeune inconstance
Me l’effaçant du coeur soit ma seule vengeance :
Afin que mon repos se remarque aussi bien
Naistre de mon oubly que ma peine du tien.

Cependant, si jamais tu repasses l’histoire
De ma fidele amour par devant ta memoire,
Il te ressouviendra que j’ay fait jusqu’aux Cieux
Voller par mes soupirs la gloire de tes yeux.
Il te ressouviendra que j’ay sans artifice
Monstré de postposer ma vie à ton service,
Donné ta volonté pour regle à mes desirs,
Senty de ton bien seul naistre tous mes plaisirs.
Et lors, en t’accusant d’estre ingrate et cruelle,
Peutestre avoüerastu qu’un esprit si fidelle
Que celuy dont les Cieux me daignent animer,
Tout imparfait qu’il est, t’obligeoit à l’aymer.
Bien estil imparfait au prix de tant de graces,
Dont approchant des Dieux les humains tu surpasses :
Mais parfait en amour, constance et fermeté ;
Seule perfection qui manque à ta beauté.

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Par Jean Bertaut

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