Élégie quatrième

Ah ! Clymène, j’ai cru vos yeux trop de légers ;
Un seul mot les a fait de langage changer.
Mon amour vous déplaît ; je vous nuis, je vous gêne :
Que ne me laissiezvous dissimuler ma peine ?
Ne pouvaisje mourir sans que l’on sût pourquoi ?
Vouliezvous qu’un rival pût triompher de moi ?
Tandis qu’en vous voyant il goûte des délices,
Vous le rendez heureux encor par mes supplices :
Il en jouit, Clymène, et vous y consentez !
Vos regards et mes jours par lui seront comptés !
J’ose à peine vous voir ; il vous parle à toute heure !
Honte, dépit, amour, quand fautil que je meure ?
Hélas ! étaisje né pour un si triste sort ?
Sontce là les plaisirs qui m’attendaient encor ?
Vous me deviez, Clymène, une autre destinée.
Mais, puisque mon ardeur est par vous condamnée,
Le jour m’est ennuyeux, le jour ne m’est plus rien.
Qui me consolera ? je fuis tout entretien ;
Mon coeur veut s’occuper sans relâche à sa flamme :
Voilà comme on vous sert ; on n’a que vous dans l’âme.
Devant que sur vos traits j’eusse porté les yeux,
Je puis dire que tout me riait sous les cieux.
Je n’importunais pas au moins par mes services ;
Pour moi le monde entier était plein de délices :
J’étais touché des fleurs, des doux sons, des beaux jours ;
Mes amis me cherchaient, et parfois mes amours.
Que si j’eusse voulu leur donner de la gloire,
Phébus m’aimait assez pour avoir lieu de croire
Qu’il n’eût en ce besoin osé se démentir ;
Je ne l’invoque plus que pour vous divertir.
Tous ces biens que j’ai dits n’ont plus pour moi de charmes ;
Vous ne m’avez laissé que l’usage des larmes ;
Encor me priveton du triste réconfort
D’en arroser les mains qui me donnent la mort.
Adieu plaisirs, honneurs, louange bienaimée :
Que me sert le vain bruit d’un peu de renommée ?
J’y renonce à présent ; ces biens ne m’étaient doux
Qu’autant qu’ils me pouvaient rendre digne de vous.
Je respire à regret, l’âme m’est inutile ;
J’aimerais autant être une cendre infertile
Que d’enfermer un coeur par vos traits méprisé :
Clymène, il m’est nouveau de le voir refusé.
Hier encor, ne pouvant maîtriser mon courage,
Je dis sans y penser : ‘ Tout changement soulage ;
Amour, viens me guérir par un autre tourment.
Non, ne viens pas, Amour, disje au même moment
Ma cruelle me plaît ; vois ses yeux et sa bouche.
Ô dieux ! qu’elle a d’appâts ! qu’elle plaît ! qu’elle touche !
Dismoi s’il fut jamais rien d’égal dans ta Cour :
Ma cruelle me plaît ; non, ne vient pas, Amour. ‘
Ainsi je m’abandonne au charme qui me lie :
Les noeuds n’en finiront qu’avec ceux de ma vie.
Puissent tous les malheurs s’assembler contre moi,
Plutôt que je vous manque un seul moment de foi !
Comme aije pu tomber dans une autre pensée ?
Un premier mouvement vous a donc offensée ?
Punissezmoi, Clymène, et vengez vos appâts ;
Avancez, s’il se peut, l’heure de mon trépas.
Lorsque je vous rendis ma dernière visite,
Votre accueil parut froid, vous fûtes interdite.
Clymène, assurément mon amour vous déplaît :
Pourquoi donc de ma mort retardezvous l’arrêt ?
Fautil longtemps souffrir pour l’honneur de vos charmes ?
Eh bien ! J’en suis content ; baignezvous dans mes larmes ;
Je suis à vous, Clymène : heureux si quelque jour
Je vous plais par ma mort plus que par mon amour !

Les Élégies

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Jean de La Fontaine Apprenti Poète

Par Jean de La Fontaine

Jean de La Fontaine, né le 8 juillet 1621 à Château-Thierry et mort le 13 avril 1695 à Paris, est un poète français de grande renommée, principalement pour ses Fables et dans une moindre mesure pour ses contes.

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