Le Génie des forêts

Il est dit qu’une fois, sur les arides plaines
Qui s’étendent làbas dans les vieilles forêts,
L’esprit des noirs brouillards qui couvrent ces domaines
Dormit à l’ombre d’un cyprès.

Mais il n’était pas seul : l’air pensif, en cadence,
Pressés autour de lui, des hommes s’agitaient ;
Un chant rompit bientôt leur lugubre silence :
Voici quel chant ils écoutaient:

Foule de guerriers sans courage,
Je le sais et tu t’en souviens,
Parce que tu n’aimais qu’un indigne carnage,
Mes pères ont maudit les tiens.

Parce que tu mangeais des entrailles de femme,
Tu t’engraissais des chairs de tes amis,
Et que jamais, chez toi, n’étincelle la flamme,
Qu’autour de tremblants ennemis.

Va voir, si tu peux, au seuil de nos cabanes,
Les pâles et rouges débris
Des chevelures et des crânes
Qu’en ton sein autrefois ma hache avait surpris.

Foule de guerriers sans courage,
Je le sais et tu t’en souviens,
Parce que tu n’aimais qu’un indigne carnage,
Mes pères ont maudit les tiens.

Viens donc ! apporte la chaudière,
Tu boiras le jus de mes os !
Viens donc !l assouvis ta colère,
Tu ne m’entendras pas pousser de vains sanglots !

Ils frappent : les haches brisées
A leurs pieds tombent en éclats ;
Ils frappent : leurs mains épuisées
Restent sans vigueur à leurs bras.

Lui, cependant, avec un rire horrible,
Le cou tendu, les yeux sans mouvement,
Sur le roc qui voyait cette lutte terrible,
Il s’asseyait en murmurant:

Viens donc ! apporte la chaudière,
Tu boiras le jus de mes os !
Viens donc ! assouvis ta colère,
Tu n’entendras pas pousser de vains sanglots !

A la fin, bondissant de douleur et de rage,
L’esprit de la noire forêt
Jette dans l’air un cri rauque et sauvage,
Ecume, grince et disparaît.

Depuis, nul n’a foulé le morne solitaire,
Alors que les vents de la nuit
Aux horreurs qui couvrent la terre
Ont mêlé leur funèbre bruit.

Car une forme surhumaine,
Hâve, dégoûtante de sang,
Accourt du milieu de la plaine,
Y dresser son front menaçant.

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Par Joseph Lenoir

Joseph Lenoir, surnommé « Rolland », vit le jour le 15 septembre 1822 à Montréal avant de s'éteindre le 3 avril 1861. Ce talentueux individu fut un poète, un journaliste et un avocat d'origine canadienne-française. Sa formation se déroula au sein du prestigieux collège de Montréal. C'est en 1840 qu'il donna naissance au bouleversant Chant de trépas d'un Huron, puisant son inspiration dans l'illustre François-Xavier Garneau.

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Vœu

Amour, tu es aveugle et d’esprit et de vue