Anniversaire

Voici venir le jour où mourut mon grand-père.

Hélas ! c’est pour mon cœur encor tout éperdu

Un de ces souvenirs sur lesquels rien n’opère,

Et qui, toujours vivant, tantôt me désespère,

Tantôt brille à mes yeux comme un rayon perdu.
Dans la coupe secrète où mes larmes s’assemblent,

Toutes celles qu’alors m’arracha la douleur

Ruisselèrent. Et là, dans l’ombre, elles ressemblent

A ces frais diamants, à ces gouttes qui tremblent

Dans le mystérieux calice d’une fleur.
Car si j’ai très-souvent les paupières humides,

Je ne me laisse pas troubler par les sanglots.

Je suis fière, très-fière, et mes pleurs sont timides.

Ainsi je les recueille et les garde limpides

Dans le calme puissant et doux des vastes flots.
Puis, semblable à l’enfant qui se penche sur l’onde,

Lorsque mon front pensif s’incline sur ma main,

Mes regards abaissés plongent dans l’eau profonde

Du lac intérieur, dont la fraîcheur m’inonde

Et verse dans mon sang l’élément surhumain.
Toute âme porte en soi ce gouffre, cet abîme,

Puits sans fond, flot sans rive, espace illimité !

Dans cette sombre mer vient se laver le crime,

Et quand il a subi ce baptême sublime,

L’homme le plus souillé reprend sa pureté.
Comme du haut du ciel les étoiles tremblantes,

Projettent sur les eaux leurs sillons fugitifs,

Ainsi mes pauvres morts aux ombres chancelantes,

Dans ce vaste océan fait de larmes brûlantes,

Transparaissent toujours à mes yeux attentifs.
Ce fidèle miroir aujourd’hui me retrace

Mon grand-père : c’est lui qui revient à pas lents,

C’est lui qui me sourit, et soudain je l’embrasse

Tel qu’il était jadis, plein d’humour et de grâce,

Le front auréolé de ses beaux cheveux blancs.
Nous avions l’un pour l’autre une extrême tendresse,

Naïve comme moi, sereine comme lui ;

Dans cette intimité suave et charmeresse,

Chacun de ses regards m’était une caresse,

Chaque mot de ma bouche écartait son ennui.
En vain depuis longtemps il a quitté la vie,

Pas un jour n’a passé pour moi sans un regret ;

Sa mémoire toujours m’a partout poursuivie,

J’ai cherché dans les cieux son image ravie

Et j’ai dit : Parle-moi ! croyant qu’il répondrait.
Ah ! quand je t’appelais de ta couche paisible,

Grand-père, j’ignorais que Dieu sait mieux que nous

Quand il faut que la mort, de sa main invincible,

Délivre de la terre une âme trop sensible

Et lui fasse goûter un repos sûr et doux.
Juillet 18…

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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