Intérieur

La voix haute et profonde

Qu’au loin jette le monde

Ne parvient pas ici.
Théophile Gautier.
La maison est petite & de peu d’apparence,

Le soleil en hiver ne la visite pas

Et du nord ou du sud ne fait point différence.

Le toit d’en face est haut & celui-ci très bas.
Le bonheur seul y brille & réchauffe les âmes.

Il semble, en entrant là, que l’air soit plus léger,

Que les feux au foyer aient de plus claires flammes,

Que le temps ait promis de n’y rien déranger.
L’ordre, la propreté, la candeur, l’harmonie,

Des livres & des fleurs, un goût sûr & charmant,

Mais surtout une paix, une paix infinie

Comme dans un tableau hollandais ou flamand.
Du seuil jusqu’au salon & jusqu’à la cuisine,

Tout rassérène & plaît. Même on dirait qu’ici

Plats creux & pots ventrus ont plus hautaine mine,

Tant ils sont reluisants contre le mur noirci.
Soulevant les rideaux du doigt, elle se penche

Et regarde, malgré qu’on n’y puisse plus voir ;

Dans la pièce voisine elle a, de sa main blanche,

Tout préparé déjà pour le repas du soir.
Elle revient souffler les bûches dans les cendres,

Car le vent froid du nord redouble avec la nuit,

Et, sans cesse inventant de petits soins plus tendres,

Retourne sur la rue épier chaque bruit.
A la porte soudain elle court & s’empresse

D’aller ouvrir : « — Enfin, ce sont ses pas, c’est lui ! »

Il entre & c’est alors maint propos de tendresse :

« — Oh ! viens vite, mon Dieu ! qu’il est tard aujourd’hui ! »
Puis on se met à table & l’on rit & l’on cause

De tout ce qu’on a fait chacun de son côté,

On se répète encore, on redit même chose

Et l’on conte toujours quand on a tout conté.
Alors vient la veillée & le couple travaille,

L’un près de l’autre assis ; il écrit, elle coud.

Ils se taisent, à moins qu’en rêvant elle n’aille

A l’oreille, tout bas, lui dire tout à coup :
« — Écoute, j’ai pour toi dans l’âme une me une élégie :

« Tiens, prends-la, je l’ai faite à la chute du jour.

« Toi loin, quoi faire, moi ? je n’ai plus d’énergie

« Si ce n’est pour t’aimer & chanter mon amour ! »
Dans le cabinet sombre aux brunes boiseries,

Où la science est jointe à l’art pur, on n’entend

Que le doux bruit de voix des longues causeries,

De celles où le cœur se livre & se détend.
Et l’on voit maintenant en lumineuses trames

Les fils des rêves d’or se croiser autour d’eux,

Jusqu’à ce qu’unissant leurs lèvres & leurs âmes,

Vers Dieu le même élan les emporte tous deux !

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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