Marguerite

C’était un soir de juin paisible. Du midi

Le vent soufflait chargé d’un parfum attiédi,

Et les deux vieilles tours massives et carrées

D’un rayon de soleil couchant étaient dorées.

Le ciel d’un bleu d’opale avait des tons charmants ;

Les arbres et les fleurs tressaillaient par moments ;

Partout les foins coupés dormaient sur les prairies.

On eût dit la nature en proie aux rêveries ;

Nous étions réunis tous au bout du jardin ;

Personne ne troublait le silence serein

Qui, du ciel calme et pur, tombait sur toutes choses

Et venait rafraîchir les hommes et les roses.

Moi, j’étais à l’écart, tenant sur mes genoux

Ma petite cousine aux grands yeux si doux :

C’est une ravissante enfant que Marguerite

Avec ses cheveux blonds, sa bouche si petite

Et son teint transparent. Amour ou chérubin,

Dont rien n’altère encor le sourire divin !

Elle avait tant joué qu’elle était un peu lasse,

Et, comme on voit la fleur sous la brise qui passe

S’incliner, la mignonne avait fermé les yeux,

En appuyant sur moi son front pur et joyeux.

Enlacée à mes bras, elle était immobile ;

La lumière baignait son visage tranquille ;

Elle ne dormait pas, elle semblait rêver.

Et je la regardais se perdre et s’élever

Dans ce cher pays bleu, splendide, et solitaire,

Où depuis si longtemps, je vis loin de la terre.

Tout à coup quelqu’un dit en nous montrant ainsi :

« ? Vraiment, c’est un tableau tout à fait réussi.

« Et comme la petite à la grande ressemble ! »

« Nul n’y pensait avant qu’elles fussent ensemble.

« On dirait, n’est-ce pas ? à les regarder bien,

« Les deux sœurs, ou la mère et l’enfant. » L’entretien

Alors se renoua, sérieux ou frivole.

Autour de moi, chacun, ayant pris la parole,

Sur ce premier avis voulut donner le sien.

Mais, je n’écoutais plus, je n’entendais plus rien,

Non, plus rien que l’haleine égale et reposée

Qui sortait doucement de la lèvre rosée.

Mon cœur seul parlait haut sans craindre de témoin ;

Un mot avait suffi pour l’emporter bien loin,

Et je berçais toujours ma petite cousine

Tandis qu’un long soupir soulevait ma poitrine :

-Les deux sœurs, me disais-je, oh ! non, dans sa douceur

Je la connais bien, moi, l’amitié d’une sœur ;

Je sais ce qu’elle vaut et combien elle est sûre.

Sa tendresse est habile à panser la blessure

Profonde que l’amour nous fait ; son dévouement

Est, jusqu’en ses détails, sympathique et charmant ;

Sa force est patiente et son ardeur fidèle.

Ma sœur, puissent mes jours s’écouler auprès d’elle !

Puisse Dieu lui donner ce qu’il m’ôte ici-bas !

Ma sœur est mon amie et ne changera pas.

Marguerite est trop jeune. Oh ! si c’était ma fille,

Si j’avais une enfant tête blonde et gentille,

Fragile créature en qui je revivrais,

Rose et candide avec de grands yeux indiscrets,

Sans cesse demandant des chansons, des caresses

Et de tendres baisers, quelles folles ivresses

Me causeraient sa voix, son parler hésitant

Ou le timbre joyeux de son rire éclatant !
Pour elle, être à mon tour ce qu’est pour moi ma mère,

Et, comme par un souffle, en cette vie amère,

Sentir les maux guéris et les pleurs essuyés

Par le bruit de l’enfant qui jouerait à mes pieds ;

Etre le but, la vie et l’âme de cette âme,

L’instruire de ma foi, l’échauffer de ma flamme

Et rien demander que sa joie en retour,

Quel rêve, encor plus doux que celui de l’amour !

Des larmes sourdent presque au bord de ma paupière

Quand je pense à l’enfant qui me rendrait si fière,

Et que je n’aurai pas, que je n’aurai jamais ;

Car l’avenir, cruel en celui que j’aimais,

De cette enfant aussi veut que je désespère.

Pourtant elle eut porté le nom de mon grand-père,

Je l’aurais appelée Olympe comme lui.

Doux et brillant reflet du rayon qui m’a lui

Dans les jours d’autrefois, les jours de mon enfance,

Ce nom, porté par elle, à sa fraîche innocence

Se serait rajeuni de nouveau pour longtemps ;

Écho de la vieillesse et chanson du printemps,

Fleur nouvelle naissant de la plante brisée,

Matin tout emperlé des pleurs de la rosée,

Prestige du passé, rêve de l’avenir,

Vie et mort, jour et nuit, espoir et souvenir !

Mais pourquoi tant choyer cette folle chimère ?

Jamais on ne dira de moi : C’est une mère !

Et jamais un enfant ne me dira : Maman !

C’en est fini pour moi du céleste roman

Que toute jeune fille à mon âge imagine.

Du bouquet effeuillé je n’ai plus que l’épine,

La brise s’est changée en ouragan glacé :

Ma vie à dix-huit ans comprend tout un passé.

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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J’ai vu, dans de vieux salons…

L’âme errante