Le coucher d’un petit garçon

Couchezvous, petit Paul ! Il pleut. C’est nuit : c’est l’heure.
Les loups sont au rempart. Le chien vient d’aboyer.
La cloche a dit : ‘Dormez !’ et l’ange gardien pleure,
Quand les enfants si tard font du bruit au foyer.

‘Je ne veux pas toujours aller dormir ; et j’aime
A faire étinceler mon sabre au feu du soir ;
Et je tuerai les loups ! Je les tuerai moimême !’
Et le petit méchant, tout nu ! vint se rasseoir.

Où sommesnous ? mon Dieu ! donneznous patience ;
Et surtout soyez Dieu ! Soyez lent à punir :
L’âme qui vient d’éclore a si peu de science !
Attendez sa raison, mon Dieu ! dans l’avenir.

L’oiseau qui brise l’oeuf est moins près de la terre,
Il vous obéit mieux : au coucher du soleil,
Un par un descendus dans l’arbre solitaire,
Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil.

Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule ;
Sous le cygne endormi l’eau du lac bleu s’écoule,
Paul ! trois fois la couveuse a compté ses enfants ;
Son aile les enferme ; et moi, je vous défends !

La lune qui s’enfuit, toute pâle et fâchée,
Dit : ‘Quel est cet enfant qui ne dort pas encor ?’
Sous son lit de nuage elle est déjà couchée ;
Au fond d’un cercle noir la voilà qui s’endort.

Le petit mendiant, perdu seul à cette heure,
Rôdant avec ses pieds las et froids, doux martyrs !
Dans la rue isolée où sa misère pleure,
Mon Dieu ! qu’il aimerait un lit pour s’y blottir !’

Et Paul, qui regardait encore sa belle épée,
Se coucha doucement en pliant ses habits :
Et sa mère bientôt ne fut plus occupée
Qu’à baiser ses yeux clos par un ange assoupis !

Les Pleurs

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Marceline Desbordes-Valmore Apprenti Poète

Par Marceline Desbordes-Valmore

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) est une poète française reconnue pour la richesse et la variété de son lyrisme romantique. Surnommée « Notre-Dame-des-Pleurs » en raison des drames qui jalonnent sa vie, elle émeut par sa sincérité et son talent naturel. Elle épanche dans sa poésie toutes les peines qu'elle a connues durant sa vie. Ses poèmes traduisent ses cris de passion, ses élans vers l’au-delà, et la nostalgie du pays natal. Son talent poétique se voit reconnu par les symbolistes, notamment Rimbaud et Verlaine, qui applaudissent son absence de rhétorique.

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à l’enfant

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