J’avais peiné comme Sisyphe

J’avais peiné comme Sisyphe
Et comme Hercule travaillé
Contre la chair qui se rebiffe.

J’avais lutté, j’avais baillé
Des coups à trancher des montagnes,
Et comme Achille ferraillé.

Farouche ami qui m’accompagnes,
Tu le sais, courage païen,
Si nous en fîmes des campagnes,

Si nous avons négligé rien
Dans cette guerre exténuante,
Si nous avons travaillé bien !

Le tout en vain : l’âpre géante
À mon effort de tout côté
Opposait sa ruse ambiante,

Et toujours un lâche abrité
Dans mes conseils qu’il environne
Livrait les clés de la cité.

Que ma chance fût male ou bonne,
Toujours un parti de mon cœur
Ouvrait sa porte à la Gorgone.

Toujours l’ennemi suborneur
Savait envelopper d’un piège
Même la victoire et l’honneur !

J’étais le vaincu qu’on assiège,
Prêt à vendre son sang bien cher,
Quand, blanche en vêtements de neige,

Toute belle au front humble et fier,
Une dame vint sur la nue,
Qui d’un signe fit fuir la Chair.

Dans une tempête inconnue
De rage et de cris inhumains,
Et déchirant sa gorge nue,

Le Monstre reprit ses chemins
Par les bois pleins d’amours affreuses,
Et la dame, joignant les mains :

— « Mon pauvre combattant qui creuses,
Dit-elle, ce dilemme en vain,
Trêve aux victoires malheureuses !

Il t’arrive un secours divin
Dont je suis sûre messagère
Pour ton salut, possible enfin ! »

— « Ô ma Dame dont la voix chère
Encourage un blessé jaloux
De voir finir l’atroce guerre,

Vous qui parlez d’un ton si doux
En m’annonçant de bonnes choses,
Ma Dame, qui donc êtes-vous ? »

— J’étais née avant toutes causes
Et je verrai la fin de tous
Les effets, étoiles et roses.

En même temps, bonne, sur vous,
Hommes faibles et pauvres femmes,
Je pleure, et je vous trouve fous !

Je pleure sur vos tristes âmes,
J’ai l’amour d’elles, j’ai la peur
D’elles, et de leurs vœux infâmes !

« Ô ceci n’est pas le bonheur,
Veillez, Quelqu’un l’a dit que j’aime,
Veillez, crainte du Suborneur,

« Veillez, crainte du Jour suprême !
Qui je suis ? me demandais-tu.
Mon nom courbe les anges même ;

« Je suis le cœur de la vertu,
Je suis l’âme de la sagesse,
Mon nom brûle l’Enfer têtu ;

« Je suis la douceur qui redresse,
J’aime tous et n’accuse aucun,
Mon nom, seul, se nomme promesse,

« Je suis l’unique hôte opportun,
Je parle au Roi le vrai langage
Du matin rose et du soir brun,

« Je suis la Prière, et mon gage
C’est ton vice en déroute au loin ;
Ma condition : « Toi, sois sage. »

— « Oui, ma Dame, et soyez témoin ! »

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Paul Verlaine Apprenti Poète

Par Paul Verlaine

Paul Verlaine est un écrivain et poète français du XIXᵉ siècle, né à Metz le 30 mars 1844 et mort à Paris le 8 janvier 1896. Il s'essaie à la poésie et publie son premier recueil, Poèmes saturniens en 1866, à 22 ans.

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