02 – Tu dois ton âme au Ciel, ne fais pas qu’il te l’ôte… [XI à XX]

XI.
Tu dois ton âme au Ciel, ne fais pas qu’il te l’ôte,

Par force, le Chrétien la rend de son bon gré :

Il faut traiter l’esprit comme on traite son hôte,

Que l’on ne contraint pas de fauter le degré.
XII.
Mieux vaut choir, que toujours de la chute être en crainte,

Mieux vaut mourir que d’être à toute heure aux abois,

La fin de la douleur est la fin de la plainte,

Rien n’est trouvé fâcheux qui ne vient qu’une fois.
XIII.
La vie est une toile, aux uns elle est d’étoupe,

Aux autres de fin lin, et dure plus ou moins :

La mort quand il lui plaît sur le métier la Coupe,

Et l’heure et le malheur comme les fils font joints.
XIV.
Ces noms qui font que l’un se plaint, et l’autre brave :

Noms trouvés par l’injure ou par l’ambition,

Sont égaux à la mort : le Comité et l’Esclave

N’ont dessus son état point de distinction.
XV.
Ne perds pour l’ami mort le manger ni le somme,

Telle douleur ne doit l’entendement pâtir :

Qui plaint un homme mort, se plaint qu’il étoit homme

Et qu’entrant en la vie, il promit d’en sortir.
XVI.
Le jeune et le vieillard ne vont de même traite,

L’un marche bellement, et l’autre veut courir,

Il est bon de mourir avant qu’on le souhaite,

Un homme courageux se doit sentir mourir.
XVII.
Heureux qui sort du monde aussitôt qu’il y entre,

Son air est pestilent à qui le trouve sain :

Heureux fut cet enfant qui en sortant du ventre

D’une mère Espagnole y retourna soudain.
XVIII.
Les tourments de ce corps ne sont que des vergettes

Pour ôter la poussière aux plis de la vertu,

Et rendre de l’esprit les passions plus nettes :

L’air se purge tant plus que le vent l’a battu.
XIX.
Te fâchant que la mort ta paupière ne serre,

Au lieu même où le Ciel te la voulut ouvrir :

Tu crains pour t’enterrer n’avoir assez de terre,

Et que le Ciel ne soit étroit pour te couvrir.
XX.
Le Ciel n’a maintenant moins d’ordre et d’influence,

Le Soleil n’est moins clair, l’Océan moins entier,

Ni le feu moins actif qu’au temps de leur naissance,

Et l’homme est bien déchu de son être premier.

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Par Pierre Matthieu

Pierre Matthieu, ou Pierre Mathieu (forme modernisée ; Pesmes, 1563 - Toulouse, 1621) est un écrivain, poète et dramaturge et historiographe comtois.

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