Les Jockeys Mécaniques

La nuit polaire
A bord les hublots sont ouverts

Les trappes bâillent

Assis sur le balcon qui se détache

Le voilà sur fond bleu

Les nuages seront peut-être les gagnants de la course
On ne voit plus que lui et eux

Ils disparaissent un moment derrière la colline où quelqu’un se promène
Ils meurent

Les chevaux ne sont plus que des bruits de grelots
En même temps que les feuilles tremblent

En même temps que les étoiles regardent

En même temps que le train passe en crachant des injures
Et la fumée

Un bout de cigare refroidi reste
Et ce tronc d’arbre au bord de la forêt

L’acre odeur de l’herbe roussie tout autour
La main énorme qui s’avance.
On ne voit pas le corps se pencher

La bouche avide
Il faudrait sauter la forêt comme une haie

Comme le monde entier est un obstacle à franchir

Il n’y a rien derrière pour se retenir ou leur casser les pattes
Pas même de l’eau

Pas même de l’air

Le vide épais

On entendait grincer les jointures d’acier

Les cloisons étanches

Un réverbère brûlait la crinière et la queue

Fil de fer
Toile d’araignée sur les yeux

On passe
La cavalcade roule sur les toits

La terre à traverser dans un instant
Les chevaux dirigeaient la vapeur de leurs naseaux contre les avions rencontrés au passage

Le passage à niveau de

Mars

Il aurait fallu s’arrêter pour apprendre quelque chose

Et la longue avenue des étoiles s’ouvrait

Les trottoirs les maisons les rues avoisinantes s’écartaient
La plus grande place du ciel illuminait ses phares
Les fenêtres pâlissaient l’ombre de leur clarté

Et les cavaliers levaient leurs lances

Les chevaux battaient leur ventre des fers lunaires de leurs pieds
Les croissants de leurs pieds gardaient la couleur de la lune où ils étaient passés

En bas tout le monde levait la tête et regardait
On ouvrait les portes de derrière avec fracas

Les jardins se remplissaient d’enfants mal réveillés

Et sur les fenêtres où les balcons manquaient des gens en chemise grelottaient
Il y a des lueurs sur le fond noir du ciel
Il y a des lumières qui courent entre les étoiles

Il y a des yeux qui s’ouvrent à la lueur des étoiles

Et son cœur battait plus fort à cause d’une main qui se posait près d’elle
A ce moment tous les yeux se tournèrent vers l’ouest d’où venait le vent

Il y avait aussi des hirondelles blanches qui venaient
de la mer

Il y avait encore des paroles qu’on n’entendait pas

Elles venaient de plus loin que la mer
Et les cavaliers lumineux dont les chevaux battaient le ciel de leurs sabots lunaires descendirent en bloc vers le poteau qui indiquait le but
La dernière chute éclaboussa le mur où se posaient les taches claires de la nuit

Tout le reste était dans l’ombre
Et l’on ne vit plus rien en dehors de la tunique sombre du vainqueur

On n’entendit plus rien que le grincement métallique qui accompagnait chaque mouvement du cheval gagnant et du jockey vainqueur

Pierre Reverdy

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Pierre Reverdy Apprenti Poète

Par Pierre Reverdy

Pierre Reverdy, né le 11 septembre 1889 (13 septembre 1889 selon l'état civil) à Narbonne et mort le 17 juin 1960 à Solesmes, est un poète français associé au cubisme et aux débuts du surréalisme. Il a eu une influence notable sur la poésie moderne de langue française.

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