5 h 30

L’homme qui ne savait

s’il fallait rire ou pleurer

à la sortie de la citadelle d’exil

était debout dans sa chambre

accoudé à l’appui de la fenêtre

Sa femme dormait

Leurs étreintes avaient été rapides

mais délirantes

Ils n’avaient pas pris de précautions

(on ne pense pas à ces choses-là en pareille circonstance)

Ils avaient pleuré comme des enfants

à cette sensation d’infini

de mort heureuse

au summum de l’incandescence vitale

Ils s’étaient embrassé les mains les pieds

chaque parcelle du corps jamais oublié

dans le désert glacial de l’absence

Non ils n’avaient pas vieilli

non ils n’étaient pas amoindris

Leur bonheur était intact

Tout allait reprendre

en plus fort

malgré le tatouage de tristesse

à leur front

imprimé par l’épreuve

La ville se réveillait lentement

le soleil se levait

les voitures passaient

traversaient le carrefour sans s’arrêter

II se souvint

de ce regard vitreux du monstre terrassé

qui taraudait son dos

à la sortie de la citadelle d’exil

alourdissait sa nuque

quand il avait traversé la ville

Il en gardait

comme un arrière-goût amer dans la bouche

mais cette impression s’estompait

et il ne put se défendre

d’une sensation de plénitude

La vie fonçait sur lui

le submergeait

Il ferma la fenêtre

se dirigea vers la salle de bains

ouvrit à fond le robinet d’eau chaude

et se mit à se déshabiller

Gongs d’annonce

tambours témoins battez

résonnez

battez pour la guérison de l’homme qui ne savait s’il fallait rire ou pleurer Battez à la vie l’envers et l’endroit mais qu’on sache maintenant comment s’achève l’histoire des sept crucifiés de l’espoir

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Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par Abdellatif Laâbi

Abdellatif Laâbi, né à Fès en 1942, est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d'être emprisonné de 1972 à 1980.

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