Continuaciôn de la gravedad

Il agonisait

l’aigle sénile de La Coruna

Les dignitaires chiens couchants

défilaient dans les antichambres du Pardo

flairaient les miasmes du caveau

de leur propre décrépitude

« Continuaciôn de la gravedad »

Maria, Carmen et sa sœur Dolores

José, Pedro et Antonio alias Marti

arrêtés hier à Barcelone

« explosifs, grande quantité de matériel de propagande saisis

organisation démantelée »

Ce matin

les murs de Barcelone

sont couverts d’inscriptions

Dans chaque boîte aux lettres

un tract

Il agonisait

l’aigle sénile de La Coruna

Insuffisance coronaire, thrombose

hémorragie intestinale

Les médecins de la mort

s’affairaient autour du corps artificiel

cousaient et recousaient

distendaient vainement la peau de chagrin

« Continuaciôn de la gravedad »

Otaegui

ne regarde même pas

les carabiniers qui vont l’abattre

Son sourire ajuste vingt-deux ans

11 lève les deux doigts de la victoire

chante à pleins poumons

l’hymne de son Euzkadi

l’Espagne devient plus belle

Il agonisait

l’aigle sénile de La Coruna

Dans les églises

le haut clergé

a exhumé reliques miraculeuses et fétiches

fait feu de tous ses cierges et ex-voto

pour la danse macabre

d’intercession

« Continuaciôn de la gravedad »

jour après jour

« Continuaciôn de la gravedad »

Dans les Asturies

dix mille mineurs en grève

À Madrid

cinq policiers armés sont mitraillés

À New York, Paris, Londres

les bureaux d’Iberia sont plastiqués

Dans les bistrots

au paseo on ne parle plus tellement de football et de corrida

Il agonisait

l’aigle sénile de La Coruna

La veillée s’annonce épuisante aux Cortes

Les procurateurs suivent atterrés

l’avance implacable

en eux

de la décomposition

À la base américaine de Rota

dont le bail a été fraîchement renouvelé

les bombardiers géants sont en alerte

l’Espagne est déclarée

zone d’insécurité

« Continuaciôn de la gravedad »

jour après jour

« Continuaciôn de la gravedad »

Maria, Carmen et sa sœur Dolores José,

Pedro et Antonio alias Martf sont entrés

en prison Des autres cellules leur

parviennent des rires

des chants Dehors

s’élève dans la nuit un air

endiablé de guitare

La veillée s’annonce douce

riche en souvenirs et espoirs

Il agonisait

l’aigle sénile de La Coruna

jour après jour

« Continuaciôn de la gravedad »

jour après jour

l’Espagne devenait plus belle

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Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par Abdellatif Laâbi

Abdellatif Laâbi, né à Fès en 1942, est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d'être emprisonné de 1972 à 1980.

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