Minuit

L’homme qui ne savait

s’il fallait rire ou pleurer

à la sortie de la citadelle d’exil

hésitait devant la porte de sa maison

Après deux heures de route

il venait de traverser Casablanca

Cela lui rappelait un film de science-fiction

qu’il avait vu dans le temps

où toute l’action se passait

dans un vaisseau spatial géant

qui renfermait une cité entière

avec ses magasins ses quartiers résidentiels

ses cafés salles de spectacle

ses voitures pour circuler dans les immenses couloirs insonorisés

Casablanca lui parut lunaire

L’atmosphère était feutrée

les lumières doublement artificielles

l’air raréfié

la circulation comme réglée par un mécanisme occulte

11 n’entendit guère de voix humaines

Le monstre semblait marcher derrière lui

alourdissait sa nuque

de son regard vitreux de cadavre

Voici la porte de sa maison

C’est bien la sienne

Sur la carte de visite

les caractères de son nom

avaient été repassés au stylo-feutre

Il reconnut l’écriture de sa femme

Sa femme

son fils sont-ils là

Quelle sera sa première parole et moi que dois-je dire en pareille circonstance « Je viens d’être libéré » « Je suis libre »

« Embrasse-moi, ne parle pas, allons voir notre enfant Il se souvint de films de guerre russes quand les soldats revenaient avec la paix l’émotion des retrouvailles les jeux de la caméra pour exprimer l’intensité des visages… Il ne sut à quel moment il pressa le bouton de la sonnette puis il se mit à battre la porte de ses deux poings et de sa voix enrouée de larmes il criait « Ouvre, ouvre, c’est moi »

Gongs d’annonce

tambours témoins battez

résonnez

battez pour le retour de l’homme qui ne savait s’il fallait rire ou pleurer Quel était donc ce monstre

qui le tarabustait de son regard vitreux de cadavre ? Dites-le mais racontez racontez l’histoire des sept crucifiés de l’espoir

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André Lemoyne Apprenti Poète

Par Abdellatif Laâbi

Abdellatif Laâbi, né à Fès en 1942, est un poète, écrivain et traducteur marocain. Il a fondé en 1966 la revue Souffles qui jouera un rôle considérable dans le renouvellement culturel au Maghreb. Son combat lui vaut d'être emprisonné de 1972 à 1980.

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