A la mémoire d’un syndicaliste noir

Qu’une tempête ne décline que le roc ne titube pour celui poitrail qui fut sûr dont le clairon de feu dans l’ombre et le hasard rustique ne décrut

O peuple guetté du plus haut mirador et défiant du bâton des aveugles

le nom natal de l’injustice énorme

Je t’ai inscrit une fois

au centre du paysage sur un fond de cannaie

debout au milieu de la glèbe de nos yeux

agrandis et d une sorte semblable

à la face d’or noire et haïtienne

d un dieu

Vois dans la forêt sans sommeil

les amis ont poussé patients

tu plissais les paupières tu les plisses aujourd’hui

tu ne parlais guère tu ne parles guère moins maintenant

tu te contentais de sourire de même tu souris encore

très doux

d’un sourire né fort des confuses javelles de la terre et de la mer parentes

de quels salaires viens-tu encore de discuter sur ton sein noir et calme viens-tu encore de réchauffer suprêmes comme un nœud sacré de couleuvres engourdies les colères d’hivernage et le coutelas des grèves

et dans quelle fraîcheur osas-tu retremper

ton sourire de rosée

comment dans la grande débâcle as-tu mis à l’abri

rusé

ta grande force secrète

ton dur front paysan

les eaux calmes prisonnières du mi-rire de tes yeux

un doute est mien qui tremble d’entendre dans la jungle des fleurs un rêve se frayer
Maître marronneur des clartés aurons-nous la force de hisser ce printemps jusqu’au sein où attendent dormants les climats

féconds nos membres purs

nos ciels impatients

alizés ou autans

réveillez-vous nos races mortes

un instant charmeur d’astres

un vent mauvais souffle des bagasses pourries

ton peuple a faim a soif trébuche ton peuple

est un cabrouet qui s’arrache de la boue toujours

plein de jurons et cinglé au fil sourd de la nuit noire des

cannes

d’un sentiment de sabres

toi le refus de la sombre défaite

chef dur soutien des cases

dieu des dégras arbre à pain des coursières

en fougère imputrescible je t’ai taillé

à révérer sylvestre

quand mai dore en chabin la grosse tête crépue

de ses manguiers les plus rares

le songe s’est levé tu marches toi l’ardeur d’un nom

sous la tenace science d’un pays de silence

tous te flairent aucun chien n’ose te barrer la route

tes murs se sont effondrés les chemins sont boueux

de grands cœurs se suicident rouges aux balisiers

tu marches pèlerin tu marches et tu souris

aux merles du dernier rayon qui picorent les tiques sur le

dos des zébus

Montreur

tout le ciel depuis longtemps s’est éteint

la mer au bas dans l’anse incline et ramène à des oiseaux

perdus

le balancement d’un toit et la lumière la lumière tu la redistribues toute aux écueils orphelins aux feuilles en la filtrant aux pierres du volcan mal refroidies qui renaissent précieuses

aux yeux des camarades vernissée vaguement sanguinolente

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Aimé Césaire Apprenti Poète

Par Aimé Césaire

Aimé Césaire, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe et mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France, est un écrivain et homme politique français, à la fois poète, dramaturge, essayiste, et biographe.

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