Aux écluses du vide

Au premier plan et fuite longitudinale un ruisseau desséché sommeilleux rouleur de galets d’obsidiennes.
Au fond une point quiète architecture de burgs démantelés de montagnes érodées sur le fantôme deviné desquels naissent serpents chariots œil de chat des constellations alarmantes.
C’est un étrange gâteau de lucioles lancé contre la face grise du temps, un grand éboulis de tessons d’icônes et de blasons de poux dans la barbe de
Saturne.
A droite très curieusement debout à la paroi squameuse de papillons crucifiés ailes ouvertes dans la gloire une gigantesque bouteille dont le goulot d’or très long boit dans les nuages une goutte de sang.
Pour ma part je n’ai plus soif.
Il m’est doux de penser le monde défait comme un vieux matelas à coprah comme un vieux collier vaudou comme le parfum du pécari abattu.
Je n’ai plus soif.

par le ciel ébranlé

par les étoiles éclatées

par le silence tutélaire

de très loin d’outre-moi je viens vers toi

femme surgie d’un bel aubier

et tes yeux blessures mal fermées

sur ta pudeur d’être née.

C’est moi qui chante d’une voix prise encore dans le balbutiement des éléments.
Il est doux d’être un morceau de bois un bouchon une goutte d’eau dans les eaux torrentielles de la fin et du recommencement.
Il est doux de s’assoupir au cœur brisé des choses.
Je n’ai plus aucune espèce de soif.
Mon épée faite d’un sourire de dents de requin devient terriblement inutile.
Ma masse d’armes est très visiblement hors de saison et hors de jeu.
La pluie tombe.
C’est un croisement de gravats, c’est un incroyable arrimage de l’invisible par des liens de toute qualité, c’est une ramure de syphilis, c’est le diagramme d’une saoulerie à l’eau-de-vie, c’est un complot de cuscutes, c’est la tête du cauchemar fichée sur la pointe de lance d’une foule en délire.

J’avance jusqu’à la région des lacs bleus.
J’avance jusqu’à la région des solfatares

j’avance jusqu’à ma bouche cratériforme vers laquelle ai-je assez peiné ?
Qu’ai-je à jeter?
Tout ma foi tout.
Je suis tout nu.
J’ai tout jeté.
Ma généalogie.
Ma veuve.
Mes compagnons.
J’attends le bouillonnement.
J’attends le coup d’aile du grand albatros séminal qui doit faire de moi un homme nouveau.
J’attends l’immense tape, le soufflet vertigineux qui me sacrera chevalier d’un ordre pluto-nien.

Et subitement c’est le débouché des graflds fleuves

c’est l’amitié des yeux de toucans

c’est l’érection au fulminate de montagnes vierges

je suis investi.
L’Europe patrouille dans mes veines

comme une meute de filaires sur le coup de minuit.

Europe éclat de fonte

Europe tunnel bas d’où suinte une rosée de sang
Europe vieux chien
Europe calèche à vers
Europe tatouage pelé
Europe ton nom est un gloussement rauque et un choc assourdi

je déplie mon mouchoir c’est un drapeau

j’ai mis ma belle peau

j’ai ajusté mes belles pattes onglées

Nom ancien

je donne mon adhésion à tout ce qui poudroie le ciel de son insolence à tout ce qui est loyal et fraternel à tout ce qui a le courage d’être éternellement neuf à tout ce qui sait donner son coeur au feu à tout ce qui a la force de sortir d’une sève inépuisable à tout ce qui est calme et sûr à tout ce qui n’est pas toi hoquet considérable

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Aimé Césaire Apprenti Poète

Par Aimé Césaire

Aimé Césaire, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe et mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France, est un écrivain et homme politique français, à la fois poète, dramaturge, essayiste, et biographe.

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Un rêve de bonheur qui souvent m’accompagne

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