Lettres

Simples ou parées, quelques qu’elles soient.
Les lettres que nous envoyons aux femmes,
Les lettres de désir et d’amour et d’espoir,
C’est notre moi qui s’évade,
Ce sont des êtres
Qui, de toutes leurs cellules, les mots,
Vont frapper les nerfs, le cœur, le cerveau,
Créer de la vie étrange, inattendue.
Telle qui fut écrite mollement
Nous apporte un enchantement,
Une réponse qui nous arrive
Ainsi qu’un jeune dieu né d’une source vive,
Et nous restons émerveillés,
Nous demandant : Quoi de nous,
Quoi donc s’est transfiguré ?
Telle autre où notre pitié cherchait,
D’une main délicate, à panser une plaie,
Déchaîne l’orgueil qui nous cravache.
Nous avions dit : Amour.
Pourquoi donc, en retour,
Cette lettre nous tourne en caricature,
En monstre fait de tous nos défauts,
De nos seuls défauts, de nos seules tares ?

Ces lettres que nous avons inspirées,
Quelles qu’elles soient, simples ou parées,
Ce sont nos enfants
Où nous cherchons fiévreusement
Des marques d’hérédité.
Nous cherchons dans leurs traits les nôtres,
Comment cette semence, cette idée
S’est ainsi réincarnée,
Nous revient étrangère, pourtant reconnaissable.
Nous cherchons pourquoi, pourquoi
Telle lettre que nous ouvrons
Promet d’abord de riches floraisons
Puis se dilue et traîne, lymphatique ;
Pourquoi telle autre où nous souhaitâmes
Contempler, rajeunie, notre force,
Nous renvoie une image affaiblie et douteuse,
Comme fait un étang brouillé.

Quelles qu’elles soient, quelles qu’elles soient
Les lettres que nous recevons des femmes,
Lettres dont la froideur nous incise,
Ou qui sont à l’esprit d’adorables hantises ;
Quelles qu’elles soient, quelles qu’elles soient
Les lettres que nous envoyons aux femmes,
Les lettres de désir et d’amour et d’espoir,
Qui vont frapper les nerfs, le cœur et le cerveau,
Ce sont des êtres tendus éperdument
De tous leurs mots, de tout leur sang,
À créer de la vie étrange insoupçonnée,
D’autres lettres, d’autres êtres.

Quelles qu’elles soient, simples ou parées,
Nos lettres sont notre moi qui s’évade,
Celles des femmes sont nos enfants.

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Alphonse Beauregard Apprenti Poète

Par Alphonse Beauregard

Né à La Patrie (Compton en Québec) le 5 janvier 1881, Alphonse Beauregard doit abandonner ses études à la mort de son père. Il pratique alors divers métiers, tout en publiant des poèmes dès 1906 dans quelques journaux et revues (parfois sous pseudonyme de A. Chasseur). Il prend une part active à la rédaction du Terroir et devient secrétaire de l'école littéraire de Montréal, tout en travaillant comme commis au port de Montréal. À peine élu président de l'école, il meurt asphyxié au gaz le 15 janvier 1924. Son poème « Impuissance » est paradoxalement un des plus puissants de cette époque.

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