Aux Champs Élyséens

À Henri Brisson.

Quand l’astre de la nuit sur nos forêts se lève.
Endormi sur la mousse, au parfum des fraisiers,
Je fis, au clair de lune, un paisible et long rêve,
Tandis qu’un rossignol chantait dans les rosiers.

En pays inconnu, sur de vastes prairies.
Loin de notre planète et des bois vendéens,
Foulant d’un pied ravi les pelouses fleuries.
Je respirais l’air pur des champs élyséens.

Il me semblait revoir un fleuve de l’Attique
Qui cheminait parmi des lys et des lauriers,
Et, rêvant sur les bords, un philosophe antique,
Vieillard robuste et chauve, à traits irréguliers :

Socrate. — Loin du fleuve une haute chênaie
Où des troupeaux broutaient aux lisières d’un champ.
Dans le creux d’un sillon, tout en suivant la raie,
La bergère filait sa quenouille en marchant ;

Vierge brune portant toute sa chevelure
Dont le visage était fièrement encadré,
Mais dans les cheveux noirs une ancienne brûlure
Laissait près de la tempe un sillage cendré :

Jeanne d’Arc. — Pas très loin, un homme jeune encore,
Au pied d’une, colline à maigres oliviers,
Méditait gravement dans un reflet d’aurore.
Ses deux genoux s’étaient meurtris sur des graviers.

Ses grands yeux rayonnaient d’espérances divines,
Les cheveux étaient d’or, d’un or éblouissant.
Comme il avait porté la couronne d’épines,
On voyait au front pur une ligne de sang.

Au bas de la colline à pente gazonnée,
Ils vinrent se rasseoir ensemble tous les trois.
Bénissant la rencontre et l’heure fortunée,
Je pus m’approcher d’eus en écoutant leurs vois :

« Pour avoir persiflé le docte Aréopage,
Ri de son faux Olympe et de son vieil Enfer,
J’ai dû fermer mon livre à sa dernière page,
Dit Socrate… Au départ je n’ai pas trop souffert.

« Quand j’ai bu d’un seul trait la coupe empoisonnée,
J’avais là de nombreux et de fervents amis
Devisant avec moi pour finir la journée
Et clore la paupière à mes yeux rendormis.

« Mais toi… je pense à toi, pauvre et vaillante Jeanne,
Qui t’épanouissais dans les fleurs du printemps,
Héroïque ingénue et simple paysanne,
Délivrant ton pays et brûlée à vingt ans.

« Je te vois tout en pleurs, sainte et blanche martyre.
Dans les rouges lueurs de l’infâme bûcher,
Seule… écoutant les cris d’une foule en délire,
Qui te crachait l’insulte et n’osait approcher.

« Jésus de Nazareth, c’est moi qui te salue.
Et Socrate humblement s’incline devant toi.
Le fils du charpentier, fils d’une race élue,
Prêchant la charité, l’espérance et la foi ;

« Les pieds, les bras cloués et les chairs pantelantes,
Disant : « Pardonnez-leur ! » du haut de ton gibet,
Et tes derniers regards et tes larmes brûlantes
Sur ta mère à genoux lorsque le soir tombait. »

Puis Socrate ajouta : « J’adresse une demande
À toi Jeanne la sainte, à toi divin Jésus,
Tous deux de fier courage et de pitié si grande,
Les plus nobles martyrs qu’un monde ait jamais eus ;

« S’il vous était donné de revivre sur terre,
S’il vous fallait encor souffrir comme autrefois,
Recommenceriez-vous votre œuvre solitaire
Bien qu’ayant pressenti les flammes et la croix,

« Aux cris blasphémateurs d’une horde en furie
Jetant ses flots de boue au visage insulté ?
— Oui, répondait la sainte; au nom de la Patrie. »
Également Jésus : « Oui, pour l’Humanité. »

Voter pour ce poème!

Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par André Lemoyne

Camille-André Lemoyne, né à Saint-Jean-d'Angély le 27 novembre 1822 et mort 28 février 1907 dans cette même ville, est un poète et romancier français.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

La poésie se nourrit de vos réflexions. Laissez un peu de vous sur nos pages.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

La bataille

Épitaphe de mademoiselle de Conti