Les charmeuses

À Jules Claretie.

LES NAGEURS.

Ô filles de la mer, loin des bords égarées,
Quand les flots s’empourpraient aux lueurs du couchant,
Nous avons entendu votre merveilleux chant
Épanouir en chœur ses voix énamourées.

Mais nous sommes en vain de robustes nageurs ;
Nous fatiguons nos bras sans pouvoir vous atteindre,
Et voici bientôt l’heure où le jour va s’éteindre :
Là-bas l’horizon perd lentement ses rougeurs.

Obstinés à vous suivre, oublieux de la terre,
Nous avons aperçu le dernier goëland
Inquiet du rivage, à grande aile volant,
Qui cherchait son chemin dans le ciel solitaire.

Quel est donc le secret de vos enchantements,
Ô filles de la mer, ardemment désirées ?
Nous vous avons tendu nos mains désespérées :
Vous échappez toujours à nos embrassements !

Notre vigueur s’épuise, et les vagues sont fortes
Quand la nuit descendra sur les flots assombris,
Nous irons au hasard, comme de vains débris,
Roulés dans les courants avec les algues mortes.

Sous le charme fatal de vos regards moqueurs,
Avant qu’un froid écueil brise nos folles têtes,
Daignerez-vous au moins nous dire qui vous êtes,
Les mourants voudraient voir la place de vos cœurs ?

LES CHARMEUSES.

Oui, jeunes amoureux, vous saurez qui nous sommes :
Sous notre beau sein nu, notre cœur est absent ;
Vous n’y trouveriez pas une goutte de sang.
Autrefois nous avons vécu parmi les hommes.

Nous fûmes autrefois des martyres d’amour.
On a dû vous parler de ces vierges trompées,
Nombreuses légions de l’abîme échappées,
Sur mer apparaissant vers le déclin du jour ?

Pour avoir bu le fond de la souffrance humaine,
Nous voyons aujourd’hui froidement les douleurs ;
Nous avons tant pleuré que nous rions des pleurs
Des pauvres soupirants que le flot nous amène.

Nous respirons la fleur de vos amours naissants,
Lorsque par un temps clair nous chantons à voix pures.
En traînant sur les eaux nos grandes chevelures
Où se prennent les cœurs des beaux adolescents

Vous descendrez tout droit aux grottes sous-marines,
Morts dans votre jeunesse et dans votre beauté ;
Et nous vous coucherons dans un lit incrusté
De nacre, de corail, d’ambre et de perles fines.

Les riches mousses d’or serviront d’oreiller ;
De larges fucus verts brodés de coquillages
Vous feront des rideaux à merveilleux ramages,
Et loin des bruits d’en haut vous pourrez sommeiller.

Là ne descend jamais la houle des orages ;
Le jour tombe assoupi dans l’abîme dormant
Où l’Océan profond, calme éternellement,
Est pur comme le ciel au delà des nuages.

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Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par André Lemoyne

Camille-André Lemoyne, né à Saint-Jean-d'Angély le 27 novembre 1822 et mort 28 février 1907 dans cette même ville, est un poète et romancier français.

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