A mon père

J’avais au pied des saints autels
Courbé ma tête appesantie,
La terre à mes regards s’était anéantie,
Et, loin du séjour des mortels,
Égaré dans ma rêverie,
J’entendais une voix chérie
M’appeler au céleste port….
Mais de l’airain sacré le son bruyant m’éveille,
L’hymne du jour suprême a frappé mon oreille,
Et j’entends retentir les concerts de la mort.
Une pâleur soudaine a couvert mon visage….
Pourquoi donc cet effroi, lorsque vers le Seigneur
Une âme délivrée enfin s’ouvre un passage ?
La tombe nous conduit à l’éternel bonheur,
Ô mon père, et tu pars pour ce dernier voyage !

Tu pars, mais tu n’as pas franchi
La plus belle moitié de ton pèlerinage !
Retranché des vivants dans l’été de ton âge,
Tes cheveux n’auront pas blanchi,
Et d’une vieillesse adorée
Le sort te ferme l’avenir !
Ah ! De combien d’amour je l’aurais entourée,
Et qu’il m’eût été doux à ta main vénérée
De présenter un jour des enfants à bénir !

Cet espoir devait-il aussitôt se flétrir ?
Avant qu’à sa passion ravie
Ton âme eût quitté cette vie,
Depuis bien des printemps je te voyais mourir !

Chaque jour ta pâle existence
Se mêlait avec le trépas,
Chaque moment était un pas
Qui de ce but fatal rapprochait la distance.

Comme un flambeau mourant, ton esprit effacé
N’avait conservé du passé
Qu’un vague souvenir dépouillé d’espérance,
Et j’avais vu ton corps glacé
Survivre à ton intelligence.

Sans éclaircir ton front, sans ranimer tes traits,
A tes yeux obscurcis vainement la nature
Déployait ses jeunes attraits ;
Pour toi le coteau sans parure
N’embaumait plus les airs du parfum de ses fleurs ;
Ornés pour nous de leurs fraîches couleurs,
Les vallons a tes pas refusaient leur verdure,
Et tes jours n’étaient plus que des jours de douleurs !

Ah ! Tant qu’elle a duré cette longue agonie,
Pour alléger tes maux, comme un divin génie,
Ton épouse veillait sur ton chevet sacré ;
Et moi, craignant pour elle et cachant mes alarmes,
A ses yeux humectés j’interdisais les larmes :
Mais en blâmant ses pleurs, j’avais aussi pleuré.

Que n’écoutai-je alors cette voix effrayante
Qui me disait de bannir tout espoir ?
Je te quittai plus calme un soir ;
Tu m’avais reconnu ; glacée et défaillante,
Ta main avait encore pressé ma main tremblante :
Ah ! Je venais de recevoir
L’adieu de ton âme expirante ;
Celait l’éclat dernier de sa flamme mourante,
Tu ne devais plus me revoir !

Mais tout est accompli ; l’inexorable terre
Arrache le cercueil a mon triste regard ;
Sur le seuil du tombeau je reste solitaire,
Déjà même est passé le moment du départ.
Adieu, dors en paix sous la pierre !
Ah ! Si pour assister à ton heure dernière
Ton fils est accouru trop tard,
Avant que le tombeau sur ta tête, ô mon père,
Pour jamais se soit refermé,
Soulevant un instant le linceul funéraire,
J’ai pu baiser encore ton front inanimé.

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Nérée Beauchemin Apprenti Poète

Par Antoine Fontaney

Antoine-Étienne Fontaney, né en 1803 et mort à Paris le 11 juin 1837, est un écrivain, journaliste et poète romantique français.

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