Le retour de la bien-aimée

I

Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies
Où j’allais promener mes tristes rêveries,
Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs,
Que tout prenne une voix et retrouve des chants
Et porte jusqu’au sein de Ta Toute Puissance
Un hymne de bonheur et de reconnaissance !
Celle, qui dans un chaste et pur embrassement,
A reçu mon amour et mon premier serment,
Celle à qui j’ai juré de consacrer ma vie
Par d’injustes parents m’avait été ravie ;
Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats
Avaient osé venir l’arracher de mes bras ;
Et jaloux de m’ôter la dernière espérance
Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance,
Un message trompeur nous avait informés
Que sur un bord lointain ses yeux s’étaient fermés.
Celui qui fut aimé, celui qui put connaître
Ce bonheur enivrant de confondre son être,
De vivre dans un autre, et de ne plus avoir
Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir,
Celui-là pourra seul deviner et comprendre
Ce qu’une voix humaine est impuissante à rendre ;
Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir
Un homme, et supporter de tourments sans mourir.
Mais la main qui sur moi s’était appesantie
Semble de mes malheurs s’être enfin repentie.
Leur cœur s’est attendri, soit qu’un pouvoir caché,
Que sais-je ? Ou que la voix du remords l’ait touché.
Celle que je pleurais, que je croyais perdue,
Elle vit ! elle vient ! et va m’être rendue !
Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux
Qu’on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux.
Non ! Je n’ai point souffert et mes douleurs passées
En cet heureux instant sont toutes effacées ;
Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis.
Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ?
Et moi ! J’osais du ciel accuser la colère !
Je reconnais enfin sa bonté tutélaire.
Et je bénis ces maux d’un jour qui m’ont appris
Que mes yeux ne devaient la revoir qu’à ce prix !

II

Quel bonheur est le mien ! Pourtant — ces deux années
Changent bien des projets et bien des destinées ;
— Je ne puis me celer, à parler franchement,
Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment.
Certes, le souvenir de notre amour passé
N’est pas un seul instant sorti de ma pensée ;
Mais enfin je ne sais comment cela s’est fait :
Invité cet hiver aux bals chez le préfet.
J’ai vu sa fille aînée, et par étourderie
Risqué de temps en temps quelque galanterie :
Je convins aux parents, et fus bientôt admis
Dans cette intimité qu’on réserve aux amis.
J’y venais tous les soirs, je faisais la lecture,
Je présentais la main pour monter en voiture ;
Dans nos réunions en petit comité,
Toujours près de la fille, assis à son côté.
Je me rendais utile à tout, j’étais son page.
Et quand elle chantait, je lui tournais la page.
Enfin, accoutumé chaque jour à la voir.
60 Que sais-je ? J’ai rendu, sans m’en apercevoir,
Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne
N’être pas dédaignés de la jeune personne :
Si bien que je ne sais trop comment m’arranger :
On jase, et les parents pourront bien exiger
Que j’ôte ce prétexte à la rumeur publique,
Et, quelque beau matin, vouloir que je m’explique.
C’est ma faute, après tout, je me suis trop pressé,
Et, comme un débutant, je me suis avancé.
Mais, d’un autre côté, comment prévoir… ? N’importe,
Mes serments sont sacrés, et mon amour l’emporte,
J’irai demain trouver le père, et s’il vous plaît,-
Je lui raconterai la chose comme elle est.
— C’est bien ! — Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ?
Le monde est si méchant, et si prompt à médire !
— Je le brave ! et s’il faut, je verserai mon sang…
Oui : mais toujours est-il que c’est embarrassant.

III

Comme tout ici-bas se flétrit et s’altère,
Et comme les malheurs changent un caractère !
J’ai cherché vainement, et n’ai point retrouvé
Cette aimable candeur qui m’avait captivé.
Celle que j’avais vue autrefois si craintive.
Dont la voix résonnait si douce et si plaintive,
Hautaine, au parler bref, et parfois emporté,
A rejeté bien loin cette timidité.
A moi, qui n’ai vécu, n’ai souffert que pour elle.
Est-ce qu’elle n’a pas déjà cherché querelle ?
Jetant sur le passé des regards curieux,
Elle m’a demandé d’un air impérieux
Si, pendant tout ce temps que j’ai passé loin d’elle.
Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle :
Et de quel droit, bon Dieu ? Nous n’étions point liés.
Et nous aurions très bien pu nous être oubliés !
J’avais juré, promis ! — Qu’est-ce que cela prouve ?
Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu’on trouve
Quelque distraction, on laisse rarement
Perdre l’occasion de trahir son serment :
Il n’est pas défendu d’avoir un cœur sensible,
Et ce n’est point du “tout un crime irrémissible.
Et puis d’ailleurs, après ce que j’ai découvert.
Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert :
J’en avais fait mon deuil, et la pauvre exilée
S’est bien de son côté quelque peu consolée ;
Et si je persistais à demander sa main.
C’était par conscience, et par respect humain ;
Je m’étais étourdi. Mais elle a, la première.
Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière,
Et certes, j’aime mieux encore, à beaucoup près,
Qu’elle se soit ainsi montrée avant qu’après.
Car enfin, rien n’est fait, au moins, et le notaire
N’a point à nos serments prêté son ministère.
— Mais quels emportements ! quels pleurs ! car elle croit
Exiger une dette et réclamer un droit.
Or il faut en finir : quoi qu’elle dise ou fasse,
J’en ai pris mon parti ; j’irai lui dire en face,
— Quoi ? — Que son caractère est à n’y pas tenir.
— Elle avait bien besoin aussi de revenir !
Nous étions si bien tous, quand son humeur altière
Vint troubler le repos d’une famille entière !
On nous la disait morte ; et je croirais aussi
Qu’il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi.

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Félix Arvers Apprenti Poète

Par Félix Arvers

Alexis-Félix Arvers, né le 23 juillet 1806 à Paris et mort le 7 novembre 1850 à la maison municipale de santé Dubois à Paris, est un poète et dramaturge français, célèbre pour son Sonnet, l'une des pièces poétiques les plus populaires de son siècle.

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