Des morts

Ô Cloître Saint-Merry funèbre ! sombres rues !
Je ne foule jamais votre morne pavé
Sans frissonner devant les affres apparues.

Toujours ton mur en vain recrépit et lavé,
Ô maison Transnonain, coin maudit, angle infâme,
Saignera, monstrueux, dans mon coeur soulevé.

Quelques-uns d’entre ceux de Juillet, que le blâme
De leurs frères repus ne décourage point,
Trouvent bon de montrer la candeur de leur âme.

Alors dupes ? – Eh bien ! ils l’étaient à ce point
De mourir pour leur oeuvre incomplète et trahie.
Ils moururent contents, le drapeau rouge au poing.

Mort grotesque d’ailleurs, car la tourbe ébahie
Et pâle des bourgeois, leurs vainqueurs étonnés,
Ne comprit rien du tout à leur cause haïe.

C’était des jeunes gens francs qui riaient au nez
De tout intrigant comme au nez de tout despote,
Et de tout compromis désillusionnés.

Ils ne redoutaient pas pour la France la botte
Et l’éperon d’un Czar absolu, beaucoup plus
Que la molette d’un monarque en redingote.

Ils voulaient le devoir et le droit absolus,
Ils voulaient « la cavale indomptée et rebelle »,
Le soleil sans couchant, l’Océan sans reflux.

La République, ils la voulaient terrible et belle,
Rouge et non tricolore, et devenaient très froids
Quant à la liberté constitutionnelle…

Aussi, d’entre ceux de juillet, que le blâme
Ils étaient peu nombreux, tout au plus deux ou trois
Centaines d’écoliers, ayant maîtresse et mère,

Ils savaient qu’ils allaient mourir pour leur chimère,
Et n’avaient pas l’espoir de vaincre, c’est pourquoi
Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;

Et c’est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi
Calme ironiquement des martyres stériles,
Quand ils tombèrent sous les balles et la loi.

Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,
Vendirent cher leur vie et tinrent en échec
Par deux fois les courroux des généraux habiles.

Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec
Quelle rage les bons bourgeois de la milice
Tuèrent les blessés indomptés à l’oeil sec !

Et dans le sang sacré des morts où le pied glisse,
Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards
Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice.

— Jeunes morts, qui seriez aujourd’hui des vieillards,
Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,
Jusqu’au deuil qui suivit vos humbles corbillards.

Votre mort, en dépit des serments d’allégeance,
Fut-elle pas pleurée, admirée et plus tard
Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?

Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,
Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,
Ou vivent affamés et pauvres, à l’écart.

Oh ! oui, nous envions la fin stoïcienne
De ces calmes héros, et surtout jalousons
Leurs yeux clos, à propos, en une époque ancienne.

Car leurs yeux contemplant de lointains horizons
Se fermèrent parmi des visions sublimes,
Vierges de lâcheté comme de trahison,

Et ne virent jamais, jamais, ce que nous vîmes.

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Paul Verlaine Apprenti Poète

Par Paul Verlaine

Paul Verlaine est un écrivain et poète français du XIXᵉ siècle, né à Metz le 30 mars 1844 et mort à Paris le 8 janvier 1896. Il s'essaie à la poésie et publie son premier recueil, Poèmes saturniens en 1866, à 22 ans.

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