La Nuit de printemps

If we shadows have offended,

Think but this, (and all is mended)

That you have but slumber’d here,

While these visions did appear ;

And this weak and idle theme,

No more yielding but a dream

Gentles, do not reprehend ;

If you pardon, we will mend.
Shakspere, Midsummer-night’s dream, acte V, scène II.
C’était la veille de Mai

Un soir souriant de fête,

Et tout semblait embaumé

D’une tendresse parfaite.
De son lit à baldaquin,

Le Soleil sur son beau globe

Avait l’air d’un Arlequin

Étalant sa garde-robe,
Et sa sœur au front changeant,

Mademoiselle la Lune

Avec ses grands yeux d’argent

Regardait la Terre brune,
Et du ciel, où, comme un roi,

Chaque astre vit de ses rentes,

Contemplait avec effroi

Le lac aux eaux transparentes.
Comme, avec son air trompeur,

Colombine, qu’on attrape,

À la fin du drame a peur

De tomber dans une trappe.
Tous les jeunes Séraphins,

À cheval sur mille nues,

Agaçaient de regards fins

Leurs comètes toutes nues.
Sur son trône, le bon Dieu,

Devant qui le lys foisonne,

Comme un seigneur de haut lieu

Que sa grandeur emprisonne,
À ces intrigues d’enfants

N’ayant pas daigné descendre,

Les laissait, tout triomphants,

Le tromper comme un Cassandre.
Or, en même temps qu’aux cieux,

C’était comme un grand remue-

Ménage délicieux,

Sur la pauvre terre émue.
Des Sylphes, des Chérubins,

S’occupaient de mille choses,

Et sous leurs fronts de bambins

Roulaient de gros yeux moroses.
Quel embarras, disaient-ils

Dans leurs langages superbes ;

À ces fleurs pas de pistils,

Pas de bleuets dans ces herbes !
Dans ce ciel pas de saphirs,

Pas de feuilles à ces arbres !

Où sont nos frères Zéphyrs

Pour embaumer l’eau des marbres ?
Hélas ! comment ferons-nous ?

Nous méritons qu’on nous tance ;

Le bon Dieu sur nos genoux

Va nous mettre en pénitence !
Car hier au bal dansant,

Où, sorti pour ses affaires,

Il mariait en passant

Deux Soleils avec leurs Sphères,
Nous avons de notre main

Promis sur le divin cierge

Son mois de mai pour demain

À notre dame la Vierge !
Hélas ! jamais tout n’ira

Comme à la saison dernière,

Bien sûr on nous punira

De l’école buissonnière.
Pour ce Mai qu’on nous promet

Ils versent des pleurs de rage,

Et vite chacun se met

À commencer son ouvrage.
Penchés sur les arbrisseaux,

Les uns, au milieu des prées,

Avec de petits pinceaux

Peignent les fleurs diaprées,
Et, de face ou de profil,

Après les branches ouvertes

Attachent avec un fil

De petites feuilles vertes.
Les autres au papillon

Mettent l’azur de ses ailes,

Qu’ils prennent sur un rayon

Peint des couleurs les plus belles.
Des Ariels dans les cieux,

Assis près de leurs amantes,

Agitent des miroirs bleus

Au-dessus des eaux dormantes.
Sur la vague aux cheveux verts

Les Ondins peignent la moire,

Et lui serinent des vers

Trouvés dans un vieux grimoire.
Les Sylphes blonds dans son vol

Arrêtent l’oiseau qui chante,

Et lui disent : Rossignol,

Apprends ta chanson touchante ;
Car il faut que pour demain

On ait la chanson nouvelle.

Puis le cahier d’une main,

De l’autre ils lui tiennent l’aile
Et ceux-là, portant des fleurs

Et de jolis flacons d’ambre,

S’en vont, doux ensorceleurs,

Voir mainte petite chambre,
Où mainte enfant, lys pâli,

Écoute, endormie et nue,

Fredonner un bengali

Dans son âme d’ingénue.
Ils étendent en essaim

Mille roses sur sa lèvre,

Un peu de neige à son sein,

Dans son cœur un peu de fièvre.
Aucun ne sera puni,

La Vierge sera contente :

Car nous avons tout fourni,

Ce qui charme et ce qui tente !
Et Sylphes, et Chérubins,

Ce joli torrent sans digue,

Vont se délasser aux bains

Du bruit et de la fatigue.
Dieu soit béni, disent-ils,

Nous avons fini la chose !

Aux fleurs voici les pistils,

Des parfums, du satin rose ;
Au papillon bleu son vol,

Aux bois rajeunis leur ombre,

Son doux chant au rossignol

Caché dans la forêt sombre !
Voici leur saphir aux cieux

Dans la lumière fleurie,

À l’herbe ses bleuets bleus,

Pour que la Vierge sourie !
Mais ce n’est pas tout encor,

Car ils me disent : Poète !

Voilà mille rimes d’or,

Pour que tu sois de la fête.
Prends-les, tu feras des chants

Que nous apprendrons aux roses,

Pour les dire lorsqu’aux champs

Elles s’éveillent mi-closes.
Et certes mon rêve ailé

Eût fait une hymne bien belle

Si ce qu’ils m’ont révélé

Fût resté dans ma cervelle.
Ils murmuraient, Dieu le sait,

Des rimes si bien éprises !

Mais le Zéphyr qui passait

En passant me les a prises !

Avril 1842.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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