Morte !

Morte ! oh ! serait-il vrai ? Morte, pleine de vie !

A son calme avenir quel mal l’a donc ravie ?

Qui donc l’a pu frapper avant qu’elle eût vingt ans ?

Dans la fraîche candeur de ses premiers printemps,

Quand elle n’était pas au tiers de sa journée,

Quel souffle, pauvre fleur ! l’a si vite fanée ?

O malheureuse enfant ! le secret bien-aimé

Qu’à tous les yeux son cœur a tenu renfermé,

Son secret, je le sais ; sa douleur, je la sonde.

Je puis dire combien sa plaie était profonde

Et ce qu’elle a souffert pour en périr ainsi :

Celui que j’aime tant, elle l’aimait aussi.

Hélas ! mais sans secours, toute seule, éperdue,

Comme un oiseau qui fuit dans l’immense étendue,

Ne trouvant nulle part de pitié ni d’appui,
Elle aima mieux mourir que de vivre sans lui ;

Et quand, le mois dernier, sa mère et sa famille,

Ignorant que l’amour tue une jeune fille,

Ont enfin obtenu de sa soumission

Qu’elle abjurât son rêve et son illusion,

Son âme douce, faible et de fraude incapable,

S’en est allée à Dieu pour n’être pas coupable.

Ces tristes jours pourtant n’avaient pas emporté

Son parfum d’innocence et de virginité :

Son voile nuptial se transforme en suaire ;

Et, toute fraîche encor sur son lit mortuaire,

Sa couronne de fleurs semble dire aujourd’hui :

Elle aima mieux mourir que de vivre sans lui !
O toi, que nous aimions avec tant de tendresse !

O toi, dont la froideur si féconde en ivresse

Nous force à te bénir en nous tordant les bras !

O toi, qui l’as tuée et qui me briseras,

Toi, qui n’eus pu choisir entre nous deux sans crime,

Quelle est cette puissance infernale ou sublime,

Ce don mystérieux, ce charme souverain

Qui prend, pour les broyer contre ton cœur d’airain,

Nos cœurs passionnés et jusqu’en ces supplices

Nous verse un poison sûr aux mortelles délices ?
Comment n’as-tu pas vu qu’elle t’aimait aussi ?

Nous, qui n’avions que toi pour unique souci,

Nous nous étions, hélas ! elle et moi, devinées,

Sans prévoir toutefois combien nos destinées

Devaient se ressembler en malheurs, en regrets.

— Qui nous eût dit alors que je lui survivrais ?

Qu’avant moi, sous nos yeux, elle serait frappée ?

Et peut-être en effet que la mort s’est trompée,

Qu’elle devait rester, que je devais partir,

Et, sans lutte, laisser l’oubli m’anéantir ?…
C’est fini maintenant, elle s’est endormie.

Sa profonde douleur m’a faite son amie.

Le passé disparaît. J’effeuille, avec des pleurs,

Sur son morne tombeau, ces vers, comme des fleurs.

La mort apaise tout : jalousie et colère !

Voici, le pardon vient et l’horizon s’éclaire ;

Plus d’ombre ou de terreur, plus de mal ou d’orgueil !

Je vois dans l’infini, qui s’ouvre à ce grand deuil,

Son front transfiguré par son amour fidèle ;

Je me rappelle enfin que tu fus aimé d’elle,

Et je dis, le cœur plein d’un sympathique effroi :

Elle aima mieux mourir que de vivre sans toi !
Novembre 18…

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Louisa Siefert Apprenti Poète

Par Louisa Siefert

Louisa Siefert, née à Lyon le 1er avril 1845 et morte à Pau le 21 octobre 1877, est une poétesse française.
Louisa Siefert (1845 - 1877) était une poétesse française qui a laissé une poésie empreinte de douleur mais soutenue d’un vif spiritualisme protestant. Son premier recueil de poèmes, Rayons perdus, paru en 1868, connaît un grand succès. En 1870, Rimbaud s'en procure la quatrième édition et en parle ainsi dans une lettre à Georges Izambard : « J'ai là une pièce très émue et fort belle, Marguerite […]. C'est aussi beau que les plaintes d'Antigone dans Sophocle.»

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