Amour qui n’est qu’amour

Stance XXI.

Amour qui n’est qu’amour, qui vit sans espérance,
De soi-même par soi par soi-même agité,
Qui naquit éternel vif à l’éternité
Qui surpasse en aimant l’âme et la connaissance,
Que cet amour est près de la divinité !

On dit qu’amour est feu, le feu est de deux sortes :
L’un se mêle confus avec les éléments,
Pour engendrer, nourrir par leurs tempéraments,
L’autre assiège du Ciel tout céleste les portes,
Prenant en soi la vie et tous ses mouvements.

Le premier s’asservit sous les lois de la nature,
Se mêle, se démêle et se perd quelquefois.
Quand le vivre lui faut, l’autre n’a d’autres lois
Que son cours, son esprit, son âme belle et pure,
Et feu est toujours feu, sans le secours du bois.

L’homme par la raison tient, augmente et possède
Le feu qui n’est vrai feu, mais un bien que des dieux
Le larron Promethée eut le moins précieux,
L’autre qui en beauté tout le dessous excède
Ne pouvant être Ciel est le plus près des Cieux.

Je veux du feu terrestre et de l’élémentaire
Comparer deux amours, dont l’un a pour objet
Un désir, un plaisir, imparfait et abject,
L’autre se mire en soi, et tout seul se veut plaire
Il est la cause et fin, sa vie et son subject.

Amants qui abaissez votre amour de la vue,
Qui l’endormez enfant au berceau du loisir,
De qui le coeur enflé engrossa de désir,
Vous voyez l’espérance à la poitrine nue,
Faire téter amour au lait de son plaisir.

Si votre oeil fasciné un coup se défascine,
Si le coeur perd sa fin ou se contente un jour,
Si fortune effrayant de quelque lâche tour
La nourrice d’amour a séché sa poitrine,
Tout meurt, votre désir, l’espérance et l’amour.

Mais ceux qui sont épris des plus célestes flammes
Ne sont haussés du trop et abaissés du peu,
Leur amour n’est enfant de peu de choses esmeu,
Rien ne le fait mourir : En ces heureuses âmes,
Sans espoir et sans bois vit l’amour et le feu.

Un peu d’eau fait mourir une flamme commune.
Les larmes font mourir les amours et les feux
Des amants espérants, les autres amoureux
Triomphent sur les pleurs, commandent la fortune
Car l’eau est sous le feu comme il est sous les Cieux.

Ah ! que le feu terrestre a sur soi de nuages !
Ah ! que l’autre est couvert d’une belle clarté !
Que l’un a de fumée et l’autre de beauté !
L’un sert même aux enfers, aux peines et aux rages,
L’autre aux Cieux, aux plaisirs de la divinité.

Pour cause, en mon amour j’aime pour ce que j’aime,
J’aime sans désirer que le plaisir d’aimer,
Mon âme par son âme apprend à s’animer,
Je n’espère en aimant rien plus que l’amour même
Et le bois de ce feu ne se peut consumer.

Si on dit votre amour est simple et stérile,
Sans produire, sans croître et est sans action
Le feu pur est ainsi sans dépérition.
S’il ne meurt point, pourquoi doit-il être fertile ?
Croître et diminuer sont imperfection.

Belle divinité qui mon âme a ravie
En ton Ciel avec toi, mon âme a pris des yeux
Pour contempler de toi le beau, le précieux,
Pareil au bienheureux est son heure et sa vie,
Car être au paradis, c’est contempler les dieux.

Mais ne puis-je espérer de mes beaux feux estaindre ?
Mais dois-je désirer d’esteindre ces beaux feux ?
Non, c’est ne vouloir point le plaisir que je veux,
Je ne puis le vouloir et n’oserais le craindre,
Mon amour ne craint pis et n’espère rien mieux.

Je vois de mon beau ciel les espérances vaines
Des amants abusés, l’un ne peut s’esjouir.
Possédant un défaut, l’autre ne peut fuir
Le manque et l’imparfait des amitiés humaines
Et l’amour sans l’espoir est plus que le jouir.

Je ne désire rien, que faut-il que j’espère ?
Et je n’espère rien, que puis-je désirer ?
Mon amour sait ravie, et non par martyrer,
Et sur mon bien parfait, qu’est-ce qui me peut plaire ?
Si mon bien ne peut croître, il ne peut empirer.

L’élément en hauteur surpasse toute flamme,
Le feu est le plus sûr de tous les éléments,
Mon âme aime plus haut que tous entendements,
Il n’est rien de si beau que le beau de ma dame,
Elle efface tous beau, et moi tous les amants.

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Théodore Agrippa d'Aubigné Apprenti Poète

Par Théodore Agrippa d'Aubigné

Théodore Agrippa d’Aubigné, né le 8 février 1552 au château de Saint-Maury près de Pons, en Saintonge, et mort le 9 mai 1630 à Genève, est un homme de guerre, un écrivain controversiste et poète baroque français.

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À longs filets de sang ce lamentable corps

Auprès de ce beau teint