Lapins

Théodore de Banville
par Théodore de Banville
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Les petits Lapins, dans le bois,

Folâtrent sur l’herbe arrosée

Et, comme nous le vin d’Arbois,

Ils boivent la douce rosée.
Gris foncé, gris clair, soupe au lait,

Ces vagabonds, dont se dégage

Comme une odeur de serpolet,

Tiennent à peu près ce langage:
Nous sommes les petits Lapins,

Gens étrangers à l’écriture

Et chaussés des seuls escarpins

Que nous a donnés la Nature.
Près du chêne pyramidal

Nous menons les épithalames,

Et nous ne suivons pas Stendhal

Sur le terrain des vieilles dames.
N’ayant pas lu Dostoïewski,

Nous conservons des airs peu rogues

Et certes, ce n’est pas nous qui

Nous piquons d’être psychologues.
Exempts de fiel, mais non d’humour

Et fuyant les ennuis moroses,

Tout le temps nous faisons l’amour,

Comme un rosier fleurit ses roses.
Nous sommes les petits Lapins,

C’est le poil qui forme nos bottes,

Et, n’ayant pas de calepins,

Nous ne prenons jamais de notes.
Nous ne cultivons guère Kant;

Son idéale turlutaine

Rarement nous attire. Quant

Au fabuliste La Fontaine,
Il faut qu’on l’adore à genoux;

Mais nous préférons qu’on se taise,

Lorsque méchamment on veut nous

Raconter une pièce à thèse.
Étant des guerriers du vieux jeu,

Prêts à combattre pour Hélène,

Chez nous on fredonne assez peu

Les airs venus de Mitylène.
Préférant les simples chansons

Qui ravissent les violettes,

Sans plus d’affaire, nous laissons

Les raffinements aux belettes.
Ce ne sont pas les gazons verts

Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes

Et, qui pis est, au bout des vers

Nous ne dédaignons pas les rimes.
En dépit de Schopenhauer,

Ce cruel malade qui tousse,

Vivre et savourer le doux air

Nous semble une chose fort douce,
Et dans la bonne odeur des pins

Qu’on voit ombrageant ces clairières,

Nous sommes les tendres Lapins

Assis sur leurs petits derrières.
27 novembre 1888.

Théodore de Banville

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