Titania

Bottom, être baigné d’azur,

Baisé dans les apothéoses,

Toujours la Reine mettra sur

Tes longues oreilles, des roses.
Au bal, où maint gardénia

Chantait son amoureuse gamme,

Je vis hier Titania.

Elle était déguisée en dame.
Car Worth, qui peinait et rêvait

Comme un forgeron dans sa forge,

Dans une robe d’or avait

Mis en captivité sa gorge.
Dans ses cheveux doux et charmants, –

Tout pareils à ces bestioles,

Cent mille et mille diamants

Brillaient comme des lucioles.
Elle avait je ne sais quel feu

D’espoir, de fureur et de joie

Dans les clartés de son oeil bleu,

Comme un loup qui cherche sa proie.
Et moi, qui ne songeais à rien,

Je contemplais, en bon lyrique

Épris du ciel aérien,

La Reine du pays féerique.
Elle et moi, quand j’étais bandit,

Bien souvent ensemble nous rîmes.

Elle m’aperçut et me dit:

Cher Banville, marchand de rimes,
Aujourd’hui le temps est fait pour

Me donner des rêves d’amante.

Je ne sais quel frisson d’amour

Court sur mes lys, et les tourmente.
Je voudrais qu’en chants inégaux

Un beau mortel, suivant mon ombre,

Me récitât des madrigaux

Dans quelque boudoir un peu sombre.
– Ah! lui dis-je, comment serait

L’être qui, bouffon ridicule,

Pour vous ne recommencerait

Les exploits effrayants d’Hercule?
Ne saurez-vous pas tout ravir,

Étant la fille de Shakspere?

Demandez, faites-vous servir.

Tout Paris est là, qui soupire.
Voici des seigneurs qu’il faut voir!

Ils n’ont pas traîné dans les bouges.

Au contraire, ils semblent avoir

Été cuits dans leurs habits rouges.
Voici des financiers d’enfer,

Ludovic, Edgar, Anatole,

Qui dans leurs grands coffres de fer

Ont su détourner le Pactole.
Puis, voici de subtils esprits

Dont le groupe heureux se dessine.

Ils sont malins, ayant appris

Le coeur des femmes — dans Racine.
Tel je montrais le Tout-Paris

Brillant comme une chrysolithe.

Mais la Fée aux rires fleuris

Me dit, en voyant cette élite:
Oui, pour une tête à l’envers,

Tu fais à souhait ton Plutarque;

Tous ces Parisiens divers

Me semblent d’une bonne marque.
Tous répondent à mon désir;

Il n’en est pas que je condamne.

Mais je ne sais lequel choisir… –

Car ils ont tous la tête d’âne!
5 février 1889.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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