Jean-Marie Chassaignon

Né à Lyon d’une ancienne famille d’épiciers, Chassaignon étudia d’abord chez les Jésuites, mais s ‘enfuit dans 1’idée de gagner Genève; arrêté comme voleur, il fut placé dans plusieurs maisons religieuses dont il s’échappa. Après avoir vagabondé quelques temps, de retour à Lyon, il fut poursuivi pour un pamphlet contre un mauvais prêtre et un magistrat adultère, ce qui l’obligea à s’exiler en Savoie le temps que l’affaire s’arrange. Revenu chez lui, il écrivit les Cataractes de l’Imagination, déluge de scribomanie, vomissement littéraire, hémorrhagie encyclopédique, monstre des monstres, par Epiménide l’inspiré, dans l’antre de Trophonius au pays des Visions (1779). C’est une «collection hétéroclite des réflexions les plus diverses», dans l’introduction de laquelle il fait l’apologie du «genre décousu» et s’élève contre «les glapissements de nos géomètres».

À Paris, en 1783-1784, il rencontra Mesmer et Saint-Martin. D’abord attiré par la Révolution, il s’éleva bientôt dans un pamphlet féroce contre le sang versé: Les Nudités, ou les crimes du peuple (1792). Ayant attaqué le révolutionnaire Chalier, il prit sa défense lorsque celui-ci fut condamné, avec une Offrande à Chalier, ou Idées vraies et philosophiques tracées à la hâte, et offertes à son défenseur officieux (M. Onuphre Moulin) par un homme libre et ami des hommes (1793).

Après sa mort, de nombreux manuscrits inédits furent utilisés par son frère épicier pour envelopper ses marchandises.

Mystique et instable, il fut en contact avec le mouvement illuministe lyonnais et publia une œuvre inclassable qui fascine par son étrangeté : Cataractes de l’imagination, déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorragie encyclopédique, monstre des monstres par Épiménide l’Inspiré (1779). La Révolution lui inspira une violente dénonciation du gouvernement jacobin (les Nudités ou les Crimes du peuple, 1792).

Cet étrange personnage mena entre Lyon et Genève, entte catholicisme et protestantisme. Révolution et Contre-Révolution, une existence chaotique et poétique. Amalgamant les citations, bousculant les genres, les Cùitaractes de l’imagination (1779) et Les Nudités ou les Crimes du peuple ( 1792) excèdent la littérature. Le titre complet du premier recueil dit assez la révolte morale ci l’excès poétique : Cataractes de l’imagination, déluge de la scribomanie, vomissement littéraire, hémorragie encyclopédique. Monstre des Monstres, par Épiménide l’inspiré. Dans l’antre de Trophonius au pays des Visions. Les Nudités se présente comme une pièce de théâtre pamphlétaire à laquelle Jacques Bousquet trouve un ton à la Léon Bloy et des résonances ubuesques (Le 18e siècle romantique, Pauvert. 1972).

Bibl. Jean Roudaut, «Un cas littéraire: Chassaignon», (Cahiers du Sud, 346, 1957. – F.-G. Frank, Chassaignon, ein Antiphilosoph zwischen klassistischer Tradition und moderner JEsthetik, Stuttgart, 1973.

EFFERVESCENCE DU sang. – 1. Le texte se présente comme un enchevêtrement de citations que nous n’explicitons pas toutes. Quelques noies iournissent seulement des points de repère. – 2. Francis Willis (1717-1807) est le médecin aliéniste qui devint célèbre à travers toute PEutope par la guérison du roi Cieorge III. Louvet de Couvray lui fait soigner son personnage dans Les Amours du chevalier de Faublas (Folio, 1996, p. 1077). – 3. Esprits animaux. – 4. Helvétms en particulier dans De l’esprit. – 5. Fayelàt Baculard d’Arnaud (1770) et Gabrielle de Vergy de De Belloy (1770) sont deux tragédies qui exploitent le thème médiéval du cœur de l’amant que le mari fait manger à sa femme. – 6. Dans Atrée et Thyeste de Crébillon père (1707), un frère fait boire à l’autre le sang de son propre fils. — 7. Chassaignon donne en note le texte latin. – 8. Sur Ducts, adaptateur de Shakespeare, voir p. 474. — 9- Edward Young (1683-1765). auteur des Nuits (1742-1745). – 10. Sur Jcan-Bapiisie Rousseau, auteur de Cantates, voir p. 491. – 11. Sur Feutry. voir p. 475. – 12. Chassaignon cite en note l’Apocalypse. – 13. Jean-Michel Gardair traduit ainsi les ‘rois strophes du Tasse (Livre de Poche, 1996):

Alors un brutt soudain sort de la fotêt,
comme le grondement de la terre qui tremble,
où se mêlent le murmure des Austers et la plainte
de l’onde qui gémit sur les écucils.
On y entend rugir le lion, siffler le serpent,
hurler le loup et gronder l’ours.
on y entend les trompettes, on y entend le tonnerre :
tous ces sons si divers sortent d’un seul son.
(XIII, 21)

Un voile noir dérobe aux yeux des mortels le soleil et le jour, et plus noir que les horteurs de l’enter, on dirait que le ciel prend feu, sillonné comme il est de flammes et d’éclairs.

Le tonnerre gronde, la pluie congelée tombe en grêle, tanche les prairies et inonde les champs. I-a grande tourmente arrache les branches, et semble ébranler et les chênes et les rochers et les collines.
(VII, 115)

Mais déjà les ombres étaient un horrible voile
qui s’imbibe et se teint de vapeurs rouges;
la terre, que ne rafraîchit plus la rosée nocturne,
est baignée de brumes tièdes et sanglantes;
le ciel se couvre de monstres et de prodiges,
on entend rôder en frémissant d’ignobles fantômes :
Pluton a vicié ses abîmes et déversé toute
la noirceur des cavernes du Tartare.
(IX, 15)

— 14. Spinello Spinclli, peintre d’Arezzo du XIVe siècle, peignil de nombreuses fresques à Florence ei une Chute des anges rebelles dans sa ville natale.