Robin-Des-Bois

Les imaginations, frappées du bruit du cor et des aboiements des meutes, dans le
silence des bois, personnifièrent leurs impressions sous le nom de Barbatos, duc
de l’abîme.

Il entend, dit la légende, le chant des oiseaux, les hurlements des loups; il
comprend le cerf qui brame et la feuille qui craque en se détachant et va
rejoindre ses soeurs dans les valses du vent.

Il connaît les trésors enfouis, les cavernes et les aires.

Devant lui, quatre rois sonnent du cor, et il mène d’un bout du monde à l’autre
la chasse des ombres.

C’est de Barbatos que l’on fit les robins-des- bois, les chasseurs noirs, les
grands veneurs et toutes les chasses fantastiques qu’on croit entendre la nuit
dans les bois.

Le vent souffle-t-il fort? l’orage est-il dans les bois? Les petits enfants des
villages croient encore, comme leurs grand’mères, que c’est la chasse du grand
veneur qui passe avec grand bruit.

Parfois la tempête hurle comme les loups, résonne comme les troupes; alors on
dit, sous les grandes cheminées, où toute la famille se chauffe à la fois :
c’est Robin-des-Bois qui chasse.

Cette croyance servit, il y a quelques années, à faire rentrer en lui-même un
vieux paysan avare qui, ayant enterré son trésor au pied d’un chêne, s’imaginait
qu’on a de la fortune pour mettre dans un vieux bas, renfermé dans un pot, sous
la terre, ce qui peut servir à soulager les autres.

Quand je dis rentré en lui-même, cela ne signifie pas qu’il ait beaucoup mieux
valu : car l’intérieur d’un avare n’est jamais bon; mais enfin, il fit, grâce à
la peur, une bonne action.

La peur! c’est un motif honteux! Qu’attendre de plus d’un avare?
Le père Mathieu était riche, comment en eut-il été autrement? On disait que
quand il dépensait un sou, il en mettait toujours la moitié de côté.

Comment faisait-il? Je n’en sais rien.

Comment avait-il gagné ses terres et tout l’argent que dans le bois il cachait
au pied d’un vieux chêne? Je n’en sais pas davantage.

Dans tous les cas, son argent, caché là, n’était pas même bon à nourrir les vers
ou à faire pousser les truffes.

Chaque fois que le père Mathieu avait quelque pièce d’or à ajouter à son trésor,
il attendait une nuit sombre et s’en allait au pied du chêne où, à la lueur
d’une lanterne sourde, il comptait son argent en tremblant de peur, et
d’affection aussi; car il aimait ce trésor comme on aime sa famille, son pays,
sa mère, tout ce qu’on a de plus cher au monde.

Un soir donc, à genoux au pied du chêne, il venait de compter, en tremblant, son
or, le caressant de la main comme on eût fait à un enfant, et pensant que s’il
se fût marié, sa femme aurait dépensé pour se nourrir et se vêtir, qu’il eût
fallu élever ses enfants, que tout cela coûte horriblement, et qu’en restant
seul il avait pu entasser. Il regrettait seulement de ne pouvoir vivre sans
manger.

Mais il ne regrettait pas d’être demeuré orphelin fort jeune; il aimait mieux
son trésor qu’une famille.

Une seule chose l’ennuyait, c’est qu’on n’enterrerait pas son or avec lui; et
c’est à cela qu’il pensait, outre la crainte qu’il avait qu’on vînt le
surprendre.

Il avait donc grand soin de tourner contre lui la lueur de sa lanterne, et le
moindre bruit de vent dans les feuilles le faisait tressaillir.

Tout à coup, une lueur rouge parut au fond d’une allée couverte, et en même
temps une grande chasse, une chasse fantastique, telle que celles des légendes,
s’élança de son côté; les chiens ne donnaient pas un coup de voix, ils
flairaient la piste; les chasseurs à cheval ne donnaient pas de fanfare; c’était
la chasse du Grand-Veneur, mais avec le silence de la mort, une vraie chasse de
fantômes.

Le père Mathieu croyait à tous les chasseurs fantômes, beaucoup plus fermement
qu’à sa conscience qu’il n’avait jamais sentie; il serra son trésor contre son
coeur, sous sa blouse, et se cacha derrière l’arbre, dans un fourré fort épais
où il s’était ménagé une entrée en cas de surprise.

Il vit les chasseurs s’arrêter, et à la lueur des torches de résine, épouvanté,
distingua le poil du dos des chiens horriblement dressé; leurs yeux semblaient
pleins d’épouvante, et ils flairaient sans cesse de tous côtés. Les chevaux
avaient même les crins hérissés.

À ce moment, une trompe lointaine sonna l’hallali : chevaux, chiens, chasseurs,
se précipitèrent de ce côté.

Mathieu entendit craquer les branches, et les pieds des chevaux frapper le sol,
dans un galop effrayant.

C’était bien réellement, pensait-il, le Grand- Veneur ou Robin-des-Bois.

Le vieil avare avait eu si peur, qu’il se croyait au moment de la mort.

Mourir, pour lui, c’était quitter son trésor.

Mais, contre son ordinaire, il avait autant de frayeur pour sa vie que pour son
or; car le danger était imminent.

Lorsque le bois fut redevenu silencieux, il se hasarda à sortir de sa cachette,
emportant son or, dont il ne voulait plus se séparer, quelque danger qu’il crût
avoir à le conserver auprès de lui.

De retour dans sa maison, une sorte de masure toute en ruine, vraie demeure de
hiboux et d’avare, il se coucha glacé d’effroi, tenant toujours dans ses bras le
vieux pot qui contenait le bas plein de pièces d’or.

La frayeur l’avait brisé; n’étant plus soutenu par la nécessité de fuir, il
resta sans connaissance dans son lit.

Depuis deux jours, personne ne voyait le père Mathieu; comme il était déjà
vieux, on pensa qu’il pouvait être malade ou mort, et des voisins vinrent
frapper à sa porte, qu’il avait barricadée solidement en rentrant.

Ne recevant aucune réponse, les voisins allèrent trouver le maire.

Celui-ci mit son écharpe, beaucoup trop courte pour lui, parce que son
prédécesseur était extrêmement maigre et lui extrêmement gros; mais à l’aide
d’un bout de ficelle il parvint à la consolider. On amena le serrurier pour
ouvrir la porte, les membres du conseil pour servir de témoins, et on procéda à
l’ouverture.

Ce n’était pas le tout de faire jouer une clé dans la serrure; il y avait,
derrière la porte, une barricade de meubles. On pensait que Mathieu était devenu
fou, et, n’entendant rien, qu’il s’était pendu.

Une heure se passa à déranger les vieux bahuts entassés derrière la porte, après
quoi on découvrit Mathieu, couché, pâle et froid.

On pensa alors qu’il aurait fallu amener le médecin; mais pendant qu’on allait
le chercher, le maire, ayant soulevé la couverture pour savoir si le coeur de
Mathieu battait encore, sa main fit remuer le pot et un grognement sortit de la
gorge de l’avare.

On avait, en effet, touché le coeur.

Alors tout fut découvert; Mathieu revint à la vie.

Il se garda bien de raconter son aventure du bois; mais on avait vu son trésor.
Ne pouvant plus le garder chez lui, il se décida à le placer où il lui
rapporterait le plus et sûrement.

Notre homme alla donc trouver le maire.

Celui-ci, qui était un brave homme, se mit en tête de faire faire une bonne
action à Mathieu. Cela devait étonner tout le pays.

« Père Mathieu, lui dit-il, avant de placer tout ça, vous devriez faire une
chose qui vous porterait bonheur. Il y a ici la mère Nicole, qui est veuve avec
sept enfants; un loup enragé a mordu sa vache et les pauvres gens n’ont plus
rien. Vous devriez lui acheter une génisse, ça ne coûte pas cher et vous
porterait bonheur. » Puis, comme il était bavard, le brave homme raconta à
Mathieu quelle fière chasse on avait faite à ce loup qui avait inquiété toute la
contrée; tous les louvetiers du département y étaient, ils s’étaient séparés en
deux bandes et on avait fini par tuer le loup pendant la nuit. Les chevaux et
les chiens en avaient une telle frayeur qu’ils en avaient les crins et le poil
tout droits. Les chiens n’ont pas donné de voix, ce qui prouvait que l’animal
était vraiment enragé.

Le père Mathieu comprit que c’était là sa chasse de Robin-des-Bois, qu’il avait
pensé perdre la vie et son argent; sans savoir ce qu’il faisait, il compta cent
francs pour la génisse de Nicole, comme s’il eût payé quelque chose.

Quand il se ravisa, il n’était plus temps. Nicole eut sa vache, et le maire aida
le vieil avare à trouver un sûr placement pour son trésor : il avait dans son
bas cent mille francs en or et billets de banque.

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Louise Michel Apprenti Poète

Par Louise Michel

Clémence-Louise Michel, dite Louise Michel, née le 29 mai 1830 à Vroncourt-la-Côte, en Haute-Marne, et morte le 9 janvier 1905 à Marseille, alias « Enjolras », est une institutrice, militante anarchiste, franc-maçonne, aux idées féministes et l’une des figures majeures de la Commune de Paris.

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