Synesthésie poétique

Dans son poème Voyelles, Arthur Rimbaud attribue une couleur aux voyelles, avec le vers célèbre « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, ». Il est cependant admis que Rimbaud n’était pas synesthète. Charles Baudelaire fera aussi usage de métaphores synesthétiques, dans Les Fleurs du mal, dans son poème Correspondances ainsi que dans Parfum Exotique. Wassily Kandinsky est connu pour ses peintures établissant des correspondances entre couleurs et sons.

Terme issu du grec « sunaisthêsis » qui signifie « perception simultanée ». On pratique la synesthésie lorsqu’on fait appel, pour définir une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d’ordre différent. Par exemple, lorsqu’on qualifie certains sons (perception auditive) de perçants, ou d’aigus (sensations d’ordre tactile). Ou encore, lorsqu’on parle d’une couleur (sens de la vue) criarde (sens de l’ouïe) ou froide (sens du toucher). Au-delà de ces usages répandus dans la langue courante, les écrivains utilisent souvent la synesthésie pour parvenir à exprimer des nuances d’impressions ou de sentiments. Chateaubriand écrit par exemple : « Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois ».

Baudelaire, dans son sonnet Correspondances, confère à cette figure de style une portée métaphysique. Il y décèle la preuve de l’unité de la Création et de l’analogie secrète entre toutes les choses. Le poète, mieux que tout autre, sait percer la signification de cette « forêt de symboles » qu’est le monde sensible et en percevoir la « ténébreuse et profonde unité ».

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent
Dans une ténébreuse et profonde unité. »

Rimbaud reprend la théorie baudelairienne à son compte dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871. Le poète « devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ». Il revient sur cette idée lorsqu’il entreprend de faire le bilan de sa trajectoire poétique en 1873, dans Alchimie du Verbe : « Je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens ». Il met en pratique ce programme en associant généralement dans ses descriptions des sensations d’ordre différents :

« Une matinée couverte, en juillet. Un goût de cendres vole dans l’air ; — une odeur de bois suant dans l’âtre — les fleurs rouies, — le saccage des promenades, — la bruine des canaux par les champs, — pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ? » (Illuminations, Phrases).

Mais cette accumulation de notations visuelles, olfactives (« odeur de bois », « encens »), gustatives (« goût de cendres »), tactiles (la « bruine »), auditives (on entend « suer » les bûches), ne relève pas exactement de la synesthésie. Pour qu’il y ait synesthésie, il ne suffit pas qu’il y ait juxtaposition de sensations de différents ordres mais association intime de l’une à l’autre, expression de l’une par l’autre, simultanéité de l’une et de l’autre dans la perception. Rimbaud en propose de nombreux exemples, avec un sens de l’insolite qui développe bien l’idée baudelairienne d’une exploration poétique de l’Inconnu :

« Il sonne une cloche de feu rose dans les nuages » (Illuminations, Phrases)

« La lune brûle et hurle » (Illuminations, Villes I)

« Des cercles de musique sourde » (Illuminations, Being Beauteous)

« parfums pourpres du soleil des pôles » (Illuminations, Métropolitain)

Dans des exemples de ce type, une sensation en fait naître une autre qui en précise ou en renforce le sens. Dans « Les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent » (Illuminations, Enfance) l’idée de beauté est exprimée conjointement par la luminosité éclatante et le tintement cristallin de l’objet évoqué en rêve. Dans « Un envol de pigeons écarlates tonne autour de ma pensée » (Illuminations, Vies I), la violence auditive de la perception (« tonne ») est renforcée par une vision en rouge (« écarlates »), peu naturelle et inattendue.
Grammaticalement, l’effet synesthésique est obtenu tantôt par le choix de l’adjectif (« ses bras, noirs et lourds et frais surtout, d’herbe » Mémoire) , tantôt par le choix du verbe (« rouler sur l’aboi des dogues » Illuminations, Nocturne vulgaire, « des prés de flammes bondissent » Illuminations, Mystique ; « des moissons de fleurs […] mugissent » Illuminations, Villes I), tantôt par le complément déterminatif du nom (« virement des gouffres » Illuminations, Barbare ; « cercles de musique » Illuminations, Being Beauteous).

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Par LaPoésie.org

Le secret pour bien vivre et longtemps est : manger la moitié, marcher le double, rire le triple et aimer sans mesure.

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