Fenêtre ouverte. Une femme (Gamla) attend le retour de son amant (Abracadab)

Fenêtre ouverte

La fenêtre ouverte donne sur une colline où paissent des moutons et des cabris. Une femme est assise sur une de ces roches de basalte expulsées jadis par un volcan. Elle y vient chaque jour attendre le coucher du soleil. Elle fixe un point situé de l’autre côté de l’horizon. -Regarde là où le soleil se couche, a dit Ab. -Il viendra murmure Gam, il a promis.

Ce rocher noir semble un ilot dans une mer d’herbes folles qui ondulent sous le vent. Les alizés du sud-est roulent sur l’océan sans rencontrer d’autre terre que celle où Gam attend sa promesse, assise au flanc d’une colline dominant le lagon, ses récifs de coraux et l’écume des déferlantes qui viennent s’y briser à marée basse. Là où elle regarde, loin derrière cet horizon, il neige sur un lac gelé entouré de montagnes. Elle n’a jamais vu la neige. Elle ne connait de la neige que les paysages des cartes postales qu’elle a reçues de lui. Mais cette fois, yeux écarquillés, tète levée, bouche grande ouverte, elle sent la fraicheur des flocons sur ses pupilles et sur sa langue. Bouche grande ouverte, elle en gobe le plus possible, comme si elle voulait manger le ciel. Sur la colline, de jours en jours, les traces de ces allers et retours du bas au sommet ont dessiné un sentier qui lui ressemble.

Un cheval s’arrête devant l’étendue blanche. La vapeur s’élève de ses flancs. Il a beaucoup galopé, lui et le cavalier font une pause et apprécient le paysage, mais le cheval piaffe d’impatience et renâcle en tirant sur les rênes. Ils ont hâte d’atteindre l’auberge d’où s’échappe un filet de fumée. Elle les attend. Le soleil a disparu derrière les crêtes, mais ici la lumière persiste sur la neige comme elle joue là-bas entre les nuages sur le lagon.

Le cheval s’engage au pas dans une poudreuse qui lui monte aux naseaux, il hennit de plaisir et se lance au galop. La couche est peu profonde, elle étouffe la frappe des sabots qui résonnent dans la nuit comme les paumes du percussionniste sur la peau de son tambour. La femme entend le tambour mais écoute le galop du cheval. Elle se dresse sur son rocher au milieu des herbes folles pour tenter de l’apercevoir. Elle se voit alors sortir de l’auberge et aller jusqu’à la rive du lac, gelé sous la grande étendue blanche. Elle a pris soin de relancer le feu avec un peu de charbonnette et une grosse buche de chêne. Elle a dressé la table, passer la chaufferette emplie de braises brulantes entre les draps du lit. La chaleur des flammes se repend dans l’auberge, vide ce soir-là. Des flammèches sortent de la cheminée, emportées par le vent, elles retombent et s’éteignent en chuintant dans la neige qui maintenant tombe à gros flocons.

Du cavalier et son cheval, on ne distingue qu’une forme mouvante qui disparait et ressurgit comme font les chimères avides de gommer la réalité pour jouir de l’effroi des âmes téméraires prises dans la tourmente. Dans ce combat d’éphémères, l’une et l’autre partie jouent son existence. La nature des choses en dessine les contours, mais jamais ne prend part à ces jeux de l’esprit qui pour elle ne sont qu’un flocon de plus ou de moins dans un tourbillon ou les formes changent et se défont selon le bon vouloir du vent, de la force du cheval et la volonté du cavalier.

A suivre…

Jeanpierre

31/10/2021. Ile Rodrigues,

Océan indien

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