Les yeux de l’aïeule

René Ghil
par René Ghil
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Vie, et ride des eaux, depuis que hors l’amère
Navrure de ses Yeux son âme ne sourd plus,
De ses Yeux inlassés la Vieille aux os de pierre
Morne et roide regarde : et sa voix de prière
Très aigre, égrène au soir les avés des élus.

A mesure qu’elle a, spleen des angles rigides
Sur elle plus uni ses deux mains aux longs os,
Sans pardon, hors du gel de ses deux Yeux algides
Tout a passé, par peur de leurs grands miroirs vides,
Hivers haut enlunés de lune sur les eaux !…..

Ayant salon, les soirs, rire et Thé dans la veille
Tièdie, et, plumes, quand il neige dans les gels,
Aux Yeux de Tous l’adore, et, sur sa Tempe vieille
Onde un peu ses poils gris, la molle Nonpareille
Qui Mèregrand l’appelle, et plus doux que les miels :

Mais haut assise, et roide, elle n’ouït pas, et, noire
Sans une lueur d’or, ou, ris de mèregrand,
Un remugle de rose, ainsi qu’une mémoire
Très vieille, elle pourpense : et de ses Yeux sans gloire
Gèle en les Yeux pleins d’heur lis ou rose d’amant.

Vont alors une gêne et des peurs : et l’Aïeule
Tranquille, sphinx amer aux deux grands Yeux mauvais,
Sous la lumière règne, et non lasse et non veule :
L’Aïeule qui les voit, et qui prie, âpre et seule,
Tout un murmure dur de lèvres et d’avès !….

Si, roide ainsi, sur Tous elle n’ouvre pas, lunes
Roides, ses Yeux ! rêve atelle que, leurs amours,
Des mépris d’elle vont, et des rires, des Unes
Aux Uns, pour sa vieillesse : et, pâleurs des lagunes
Où des roseaux, elle ouvre ainsi ses deux Yeux gourds…

Mais du dormir, adieux ! quand l’heure sonne veille
Tièdie ! après avoir suivi le dernier dos,
Vont, lors, dans les sommeils, les Yeux : et, lors, merveille
Haut, parle en ellemême, en le gel d’air et d’eaux,
La neige seule et pâle, à des plumes pareille…..

Dans le suaire des draps, en le noir où respire
Des ruines la girie et vont de vieux ahans,
L’Aïeule mal sommeille : et, sans lampe, sourire,
Ô rides ! doux sur vous, le Noir vivant empire,
Marée ample des mers sous la pluie en suspens.

Oh ! dormez sans soupirs, et que, doux, vous rerie
Un vieux rêve, ô Vieillie et Passée ! et, la, do,
Sol, do, do, de Tonka, glauque odeur de prairie,
De géranium, d’orange, et de roses où prie
La langueur des Yasmins, qu’une Odeur plane haut

Sur vos Yeux soleilleux d’un soleil doux et monde !…..
Mais un rien sur les eaux ride d’air large sur
Tout elle a long passé, pareil aux lueurs d’onde
Molles à mourir : et, des reins, haut a du monde
Des grands sommeils surgi l’Aïeule au regard dur.

Mais, sur elle a passé, tout le long, large et grêle,
De ses vieux os, un rien, ride d’air sur les eaux
Tranquilles : et, l’Aïeule ayant l’idée en elle,
Tressaille et ne voit qui de sa vieille mamelle
Haut de même a pu rire, et de ses pauvres os !…

Légendes d’âmes et de sangs

René Ghil

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