Un Peu D’eau


Il y a l’eau, ici.


Ces moisissures la soupçonnent
Nous, l’ordre est qu’on l’anéantisse.
Mais quels sont les crimes de l’eau?…
L’eau mouille?…
Elle coupe le vin?…
Elle noie? (Qui? —Allons! allons…)
C’est le sucre et le sel

Qui sont dissous par elle.

Les foules de l’océan sont composées de ses individus…

L’eau gèle, ah, ça !
Bien plus :

Ce n’est pas la première fois ni la dernière.

(Elle ne pèle pas, elle ne bêle pas;

Mais qu’il gèle, elle gèlera !

Disent les huîtres.)

Et lorsqu’au contraire on la chauffe,

(Car d’elle-même elle est incapable de tiédir :

Il faut qu’on le fasse à sa place…)

Quand on la chauffe sa tactique est de disparaître.

Un bouillon et elle est partie.

Nous n’exagérons pas.

«
Ni nous non plus », dit l’autre.

Incolore, inodore et sans saveur.

C’est ça que vous me proposez pour thème.

Je vous répondrais bien : «et les cailloux?»
Mais non.

Souvenez-vous pourtant que je parle en mon nom.

Incolore ? — elle rougit

De honte le front des baleines.

Inodore ? — oui comme un pet.

(Le pet est plus qu’elle incolore.)

Sans saveur? — et l’insolente

A la morgue de s’en vanter !

Chaude elle est?
Oui… pour la soupe !

Mais on l’a connue froide !

Et le gel est en elle au fond de vos chaloupes.

Marins !
Comme elle sait se faire lourde,

Vous le savez, pêcheurs :

Lourde d’avoir noyé la sole solitaire

Et ces harengs hargneux qu’elle rend sur vos bancs par

bancs?
Ces vieux harengs que, dès l’aurore
Vous tenùez, quelque part autour de l’horizon
De rapporter, dragués, pour quelques sous
Dans le panier sans fond, affamé, de vos ménagères. «
Ces harengs cent sous ?
Reprends ton filet.
Rapporte-les où
Tu les as péchés ! »
Disaient-elles.
Telles sont les femmes.

Un jour, l’eau s’en ira.

Car l’eau inodore, incolore et sans saveur,

Est un monstre mythique

Qu’aucun navigateur, jamais, n’a rencontré.

Ce qu’elle est?
L’eau? —je vous le dis, sachez-le bien :

L’eau, l’eau, l’eau,

L’eau,
L’eau kst inutile.

Oui.
C’est bien là son signe distinctif.

On reconnaît l’eau — à quoi donc?

À ce qu’elle est strictement inutile.

J’irai plus loin : c’est au point qu’elle n’est même pas

nuisible !
Et c’est pourquoi, mes frères.
Un jour l’eau s’en ira sans qu’on s’en aperçoive,
Au hasard des tuyaux.
Et l’arrosoir cultivera, comme à l’aube des temps, sa

pomme.
Même il se peut, déjà et sans qu’on s’en doute
Que l’eau s’en soit allée
Sans demander son reste et sans cascade superflue.

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Par Roland Dubillard

Roland Dubillard, né le 2 décembre 1923 à Paris 7ᵉ et mort le 14 décembre 2011 à Vert-le-Grand, est un écrivain, dramaturge et comédien français. Son œuvre littéraire comporte des pièces de théâtre ainsi que des nouvelles, des recueils de poésies, quelques essais et un journal intime.

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