Ma maison

Face au midi, bien adossée
A l’ancien étang féodal
Dont elle épaule la chaussée,
Elle fut le moulin banal

Où deux ou trois pauvres villages
Et quelques petits mas perdus,
Avec leurs maigres attelages
Plusieurs siècles sont descendus

Moudre, au tic tac vieillot et grêle
D’un mécanisme trébuchant,
Tout ce que la dîme ou la grêle
Laissaient de seigle sur leur champ…

Mais lorsque le soc populaire
Démantela le vieux château,
Et que, sous un flot de colère,
Son granit roula du coteau,

Mon aïeul, un Jacques Bonhomme
Très longtemps meunier chez autrui,
Ayant été très économe,
Put devenir meunier chez lui.

Il acheta l’humble ruine,
Prit la truelle du maçon,
Et fit un moulin à farine
De l’antique moulin de son,

Exhaussa le tout d’un étage
Large, aéré, plein de soleil,
D’où l’on entend le caquetage
De la trémie à son réveil ;

Puis crânement, sur la toiture,
Comme un noble arbore un blason,
D’une meule en miniature
Il girouetta sa maison.

Il planta car celui qui plante
A foi vraiment en l’avenir
Des arbres à croissance lente
Qui font durer le souvenir,

Et qui, maintenant séculaires,
Sur le vieux toit coubés du vent,
Parlent à voix hautes et claires
De l’ancêtre en eux survivant…

Il prit femme ; et ma bonne aïeule
Se mit a l’oeuvre sans façons,
Berçant au refrain de sa meule
Trois filles et quatre garçons

Qui remplirent de cris, de joies,
De luttes et de jeux sans fin
La maison, le pâtis aux oies
Et tous les halliers du ravin,

Puis si vaillamment essaimèrent
Et si gaîment, quoique pieds nus,
Que des vieillards qui les aimèrent
Sont fiers de les avoir connus…

C’est là ma maison paternelle,
C’est là le nid qui m’a bercé :
Que ne puisje y ployer mon aile
Et n’y vivre que du passé ?

Fleurs de genêts

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