Chanson pour labisse

Cet homme vêtu de blanc

Et qui jonglait avec des citrons verts

Et aussi des petites cuillers

Cela fait déjà très longtemps qu’il a été emporté

par la mer
Tout ceci est sans importance
Seulement les paroles d’une chanson
Doux billet d’Août
Massacres de
Septembre
Poissons d’Avril et belles de
Mai
Journées d’Octobre, décombres de
Décembre
Ides de
Mars et quatorze
Juillet le café refroidit dans la tasse
La jeune fille est allée se noyer
Son amour était pris dans une nasse
Elle est partie le délivrer
Tout ceci est sans importance
Seulement les paroles d’une chanson
Une chanson de circonstance Écrite pour une exposition
Toutes les fenêtres donnent sur la mer
Mais l’hôtel est abandonné
Au loin sur le débarcadère
Un homme avec une pipe en terre

Regarde la marée

Et la marée est basse et l’homme s’appelle

Labisse
Et c’est lui le seul locataire
De cet hôtel désolé
Et livré aux choses de la mer
Depuis déjà de longues années
Oh bien sûr on peut se demander
Ce qu’il fait là
Labisse
Au lieu de manger tranquillement
Son pain blanc le premier
Et puis la bisque d’écrevisse avec les basques

des crevasses
En toute simplicité
Et pourtant c’est bien simple À quoi bon le cacher
Ce qu’il fait là
Labisse
Il fait bien dans le tableau
Parce que c’est son boulot
Et il montre de belles images
Délicatement ensanglantées
Et toujours de bonne humeur
Il met de l’ordre dans la maison
Et chaque place à sa chose
Et chaque chose à sa place
Le miroir à trois fils dans la mère à trois faces
Et la sirène dans la baignoire
Et les six rois dans le placard
Et puis l’os dans la moelle
Le renard dans le raisin
Le raisin dans le pépin
Le pépin dans la pépinière, la pépinière dans la

caserne
Et la caserne dans le désarroi
Et le soleil dans le blanc d’œuf
Et l’œuf dans le blanc de soleil

Et le tenon dans la mortaise et la chaisière sous

le chaisier
Et l’œil dans l’escarbille et le mendiant dans sa

sébille
Et la salamandre dans le feu, le feu dans la forêt, la forêt

dans l’arbre, l’arbre dans la branche, la branche

dans la fleur, la fleur au chapeau, le chapeau sur la

tête, la tête sur le billot.
Et ceci est sans importance
Simplement les paroles d’une chanson
Une chanson pour
Labisse et son exposition
Une fille nue entre dans la danse
Un homme perdu sort de prison
Une vieille femme lave du linge
Un grand singe mange un melon
Et d’une voix de tête
La tête dont on parlait plus haut
La tête sur le billot
Oui entonne à tue-tête
Dans un panier de sons
La chanson du bourreau
La chanson de
Samson
Dans le son il y a du sang
Dans le sang il y a du son
Dans mon corbillon qu’y met-on?
Et tout ceci est sans importance
Un petit air de circonstance
Et toutes les paroles d’une chanson
Chantée par le grand échanson
L’échanson de
Bilitis
En l’honneur de
Labisse

Et un coup de rouge pour
Labisse
Nous le boirons à sa santé
Et un coup de clairon pour les autres
Tous les autres à qui ça plaît.

Voter pour ce poème!

Jacques Prévert Apprenti Poète

Par Jacques Prévert

Jacques Prévert, né le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine et mort le 11 avril 1977 à Omonville-la-Petite, est un poète français. Auteur de recueils de poèmes, parmi lesquels Paroles, il devint un poète populaire grâce à son langage familier et à ses jeux sur les mots.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Écrivez comme un Verlaine, commentez comme un Hugo, et vous serez un pilier de notre communauté poétique.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Conseils à une parisienne

Poète fol