L’enfant qui priait

Eh quoi ! prier déjà…. tu bégayes encore ;
De la vie, ici-bas, tu n’as vu que l’aurore ;
Pour loi, le beau printemps n’est venu que deux fois ;
À peine connaît-on le doux son de ta voix.
Et cependant, docile aux leçons d’une mère,
Tu bégayes déjà quelques mots de prière !
Oh ! laisse la prière au cœur des malheureux,
Et toi, petit enfant, va reprendre tes jeux !

Pourvu qu’à ton réveil, s’échappant de sa cage,
L’oiseau qui te connaît commence son ramage,
Qu’il reste près de toi ; que d’un bouquet nouveau,
Ta mère, en souriant, vienne orner ton berceau ;
Pourvu que vers le soir, sa voix mélodieuse
T’endorme doucement, ou que, silencieuse,
Elle ébranle ta couche, et d’un léger effort,
En longs balancements t’endorme mieux encor :
C’est là tout le bonheur de ta paisible enfance.
Et comment prierais-tu ? tu n’as pas d’espérance !
À ton âge charmant, l’existence est un jour,
Où le rire et les pleurs s’effacent tour à tour.

Plus tard, petit enfant, poursuivant ton voyage,
Ton cœur s’agitera du trouble du jeune âge ;
Tu sentiras alors les charmes enivrants
De nos illusions, rêves purs et charmants.
Un doux espoir, ainsi qu’une ombre fugitive,
Apparaîtra soudain à ton âme naïve,
Te faisant pressentir l’amour et le bonheur…
Alors, il sera temps de prier le Seigneur !

À genoux devant lui, plein de foi, d’espérance,
On dit tout sans parler ; — Dieu comprend le silence.
Ô mon Dieu ! que l’on aime à vous prier longtemps,
Lorsqu’on veut être heureux et que l’on a seize ans !

Car, hélas ! jeune enfant, pendant le long voyage,
Nous n’avons pas toujours un beau ciel sans nuage ;
Le limpide ruisseau qui s’en va murmurant,
Se change bien souvent en horrible torrent,
Et l’aquilon, soufflant sur la barque légère,
Vient la briser, le soir, aux écueils de la terre.
Va jouer, bel enfant !… il te faudra plus tard
Souffrir ainsi que nous : ta vie aura sa part !
Tu verras fuir l’espoir qui venait de paraître ;
Un jour, on t’aimera…, l’on t’oubliera peut-être !…
Ah ! qu’ai-je dit, enfant ? —Suspends, suspends tes jeux
Joins tes petites mains, et regarde les cieux.

Voter pour ce poème!

Sophie d'Arbouville Apprenti Poète

Par Sophie d'Arbouville

Sophie d'Arbouville, née le 29 octobre 1810 et morte le 22 mars 1850 à Paris, est une poète et nouvelliste française.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Écrivez comme un Verlaine, commentez comme un Hugo, et vous serez un pilier de notre communauté poétique.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Le chant du cygne

Le passé