Turlurette

Il s’en va, le fol Amour.

Nous entendons le tambour

Qui pour vous bat la retraite.

Eh! allez donc, Turlurette!
Sous les rouges cieux pourprés,

Vous n’irez plus dans les prés

Effeuiller la pâquerette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Du poëte au savetier,

Vous charmiez tout le quartier

Notre-Dame-de-Lorette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Hélas! au lieu d’ortolans,

A vos appétits galants

On offre une vinaigrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Déjà, lors de vos treize ans,

Vous aviez les yeux luisants,

Car vous étiez guillerette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Vous faisiez peu de façons,

Et d’aimables polissons

Baisaient votre collerette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Belle aux sens extasiés,

A coup sûr vous ne lisiez

Ni Beuve, ni Philarète.

Eh! allez donc, Turlurette!
Plus tard, quand toute une cour

Vous adorait, tour à tour

Vous fûtes dame et soubrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
On admirait votre peau.

Sur votre insolent chapeau

Brillait une folle aigrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
A vos genoux, très soumis,

Se traînaient des gens bien mis,

Ayant des croix en barrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Ou bien, d’un pas vif et prompt,

Vous portiez sur votre front

Le pot au lait de Perrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Où sont hélas! tous les ors

Et tous les riants trésors

Cachés sous la gorgerette?

Eh! allez donc, Turlurette!
Et vos seins blancs, où jadis

Parmi les glorieux lys

Rougissait une fleurette?

Eh! allez donc, Turlurette!
Et le gai visage en fleur

Où le Temps écornifleur

Plante sa griffe indiscrète?

Eh! allez donc, Turlurette!
On voit maigrir votre flanc

Et déjà, dans votre sang

Frémit une peur secrète.

Eh! allez donc, Turlurette!
Bientôt, regrets superflus!

Vous ne voyagerez plus

Au pays de l’amourette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Car, à bouche que veux-tu,

Vous aurez de la vertu

Comme un pâle anachorète.

Eh! allez donc, Turlurette!
Et tenant votre cabas,

Vous tricoterez des bas,

Mince comme une levrette.

Eh! allez donc, Turlurette!
Alors, grillant vos mollets,

Vous songerez, triste, les

Pieds sur votre chaufferette.

Eh! allez donc, Turlurette!
12 novembre 1889.

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Théodore de Banville Apprenti Poète

Par Théodore de Banville

Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du bonheur ».

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