La femme adultère

Alfred de Vigny
par Alfred de Vigny
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‘ Mon lit est parfumé d’aloès et de myrrhe ;
‘ L’odorant cinnamome et le nard de Palmyre
‘ Ont chez moi de l’Egypte embaumé les tapis.
‘ J’ai placé sur mon front et l’or et le lapis ;
‘ Venez, mon bienaimé, m’enivrer de délices
‘ Jusqu’à l’heure où le jour appelle aux sacrifices :
‘ Aujourd’hui que l’époux n’est plus dans la cité,
‘ Au nocturne bonheur soyez don invité ;
‘ Il est allé bien loin. ‘ C’était ainsi, dans l’ombre,
Sur les toits aplanis et sous l’oranger sombre,
Qu’une femme parlait, et son bras abaissé
Montrait la porte étroite à l’amant empressé.
Il a franchi le seuil où le cèdre s’entr’ouvre,
Et qu’un verrou secret rapidement recouvre ;
Puis ces mots ont frappé le cyprès des lambris :
‘ Voilà ces yeux si purs dont mes yeux sont épris !
‘ Votre front est semblable au lys de la vallée,
‘ De vos lèvres toujours la rose est exhalée :
‘ Que votre voix est douce et douces vos amours !
‘ Oh ! quittez ces colliers et ces brillants atours ! ‘
Non ; ma main veut tarir cette humide rosée
Que l’air sur vos cheveux a longtemps déposée :
C’est pour moi que ce front s’est glacé sous la nuit !
‘ Mais ce coeur est brûlant, et l’amour l’a conduit.
‘ Me voici devant vous, ô belle entre les belles !
‘ Qu’importent les dangers ? que sont les nuits cruelles
‘ Quand du palmier d’amour le fruit va se cueillir,
‘ Quand sous mes doigts tremblants je le sens tressaillir ?
Ou… Mais d’où vient ce cri, puis ces pas sur la pierre ?
‘ C’est un des fils d’Aaron qui sonne la prière.
‘ Eh quoi ! vous pâlissez ! Que le feu du baiser
‘ Consume nos amours qu’il peut seul apaiser,
‘ Qu’il vienne remplacer cette crainte farouche
‘ Et fermer au refus la pourpre de ta bouche !
On n’entendit plus rien, et les feux abrégés
Dans les lampes d’airain moururent négligés.

Quand le soleil levant embrasa la campagne
Et les verts oliviers de la sainte montagne,
A cette heure paisible où les chameaux poudreux
Apportent du désert leur tribut aux Hébreux ;
Tandis que de sa tente ouvrant la blanche toile,
Le pasteur qui de l’aube a vu pâlir l’étoile
Appelle sa famille au lever solennel
Et salue en ses chants le jour et l’Eternel ;
Le séducteur, content du succès de son crime,
Fuit l’ennui des plaisirs et sa jeune victime.
Seule, elle reste assise, et son front sans couleur
Du remords qui s’approche a déjà la pâleur ;
Elle veut retenir cette nuit, sa complice,
Et la première aurore est son premier supplice :
Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu,
S’étonna d’ellemême et douta de son Dieu.
Elle joignit les mains, immobile et muette,
Ses yeux toujours fixés sur la porte secrète ;
Et semblable à la mort, seulement quelques pleurs
Montraient encor sa vie en montrant ses douleurs.
Telle Sodome a vu cette femme imprudente
Frappée au jour où Dieu versa la pluie ardente,
Et, brûlant d’un seul feu deux peuples détestés,
Eteignit leurs palais dans des flots empestés :
Elle voulut, bravant la céleste défense,
Voir une fois encor les lieux de son enfance,
Ou peutêtre, écoutant un coeur ambitieux,
Surprendre d’un regard le grand secret des Cieux ;
Mais son pied tout à coup, à la fuite inhabile,
Se fixe, elle pâlit sous un sel immobile,
Et le juste vieillard, en marchant vers Ségor,
N’entendit plus ses pas qu’il écoutait encor.

Tel est le front glacé de la Juive infidèle.
Mais quel est cet enfant qui parait auprès d’elle ?
Il voit des pleurs, il pleure, et, d’un geste incertain,
Demande, comme hier, le baiser du matin.
Sur ses pieds chancelants il s’avance, et, timide,
De sa mère ose enfin presser la joue humide.
Qu’un baiser serait doux ! elle veut l’essayer ;
Mais l’époux, dans le fils, la revient effrayer ;
Devant ce lit, ces murs et ces voûtes sacrées,
Du secret conjugal encore pénétrées,
Où vient de retentir un amour criminel,
Hélas ! elle rougit de l’amour maternel,
Et tremble de poser, dans cette chambre austère,
Sur une bouche pure une lèvre adultère.
Elle voulut parier, mais les sons de sa voix,
Sourds et demiformés, moururent à la fois,
Et sa parole éteinte et vaine fut suivie
D’un soupir qui sembla le dernier de sa vie.
Elle repousse alors son enfant étonné,
Tant la honte a rempli son coeur désordonné !
Elle entr’ouvre le seuil, mais là tombe abattue,
Telle que de sa base une blanche statue.

Ce jourlà, des remparts, on voyait revenir
Un voyageur parti pour la ville de Tyr.
Sa suite et ses chevaux montraient son opulence :
Guidés nonchalamment par le fer d’une lance,
Fléchissaient sous leur poids, et l’onagre rayé,
Et l’indolent chameau, par son guide effrayé ;
Et douze serviteurs, suivant l’étroite voie,
Courbaient leurs fronts brûlés sous la pourpre et la soie ;
Et le maître disait : ‘ Maintenant Sephora
Cherche dans l’horizon si l’époux reviendra ;
Elle pleure, elle dit : ‘ Il est bien loin encore !
‘ Des feux du jour pourtant le désert se colore !
‘ Et du côté de Tyr je ne l’aperçois pas. ‘
Mais elle va courir audevant de mes pas.
Et je dirai : ‘ Tenez, livrezvous à la joie !
‘ Ces présents sont pour vous, et la pourpre et la soie,
‘ Et les moelleux tapis, et l’ambre précieux,
‘ Et l’acier des miroirs que souhaitaient vos yeux. ‘
Voilà ce qu’il disait, et de Sion la sainte
Traversait à grands pas la tortueuse enceinte.

Tout Juda cependant, aux fêtes introduit,
Vers le temple, en courant, se pressait à grand bruit :
Les vieillards, les enfants, les femmes affligées,
Dans les longs repentirs et les larmes plongées,
Et celles que frappait un mal secret et lent,
Et l’aveugle aux longs cris, et le boiteux tremblant,
Et le lépreux impur, le dégoût de la terre,
Tous, de leurs maux guéris racontant le mystère,
Aux pieds de leur Sauveur l’adoraient prosternés.
Lui, né dans les douleurs, roi des infortunés,
D’une féconde main prodiguait les miracles,
Et de sa voix sortait une source d’oracles :
De la vie avec l’homme il partageait l’ennui,
Venait trouver le pauvre et s’égalait à lui.
Quelques hommes formés à sa divine école,
Nés simples et grossiers, mais forts de sa parole,
Le suivaient lentement, et son front sérieux
Portait les feux divins en bandeau glorieux.

Par ses cheveux épars une femme entraînée,
Qu’entoure avec clameur la foule déchaînée,
Paraît : ses yeux brûlants au Ciel sont dirigés,
Ses yeux, car de longs fers ses bras nus sont chargés.
Devant le Fils de l’Homme on l’amène en tumulte,
Puis, provoquant l’erreur et méditant l’insulte,
Les Scribes assemblés s’avancent, et l’un d’eux :
‘ Maître, ditil, jugez de ce péché hideux ;
‘ Cette femme adultère est coupable et surprise :
‘ Que doit faire Israël de la loi de Moïse ? ‘
Et l’épouse infidèle attendait, et ses yeux
Semblaient chercher encor quelque autre dans ces lieux ;
Et, la pierre à la main, la foule sanguinaire
S’appelait, la montrait : ‘ C’est la femme adultère !
‘ Lapidez la : déjà le séducteur est mort ! ‘
Et la femme pleura. Mais le juge d’abord :
‘ Qu’un homme d’entre vous, ditil, jette une pierre
S’il se croit sans péché, qu’il jette la première. ‘
Il dit, et s’écartant des mobiles Hébreux,
Apaisés par ces mots et déjà moins nombreux,
Son doigt mystérieux, sur l’arène légère,
Ecrivait une langue aux hommes étrangère,
En caractères saints dans le Ciel retracés…
Quand il se releva, tous s’étaient dispersés.

Poèmes antiques et modernes

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