Le papillon

I

De fleur en fleur, papillon,
Et de tige en tige,
Beau d’or et de vermillon,
Fin d’aigrette et d’aiguillon,
Étourdi, voltige !

Dans la corolle, au matin,
Comme une épousée
Sous ses rideaux de satin,
Furtif, d’un baiser lutin,
Surprends la rosée.

Toi qu’un zéphyr caressant
Fit à l’aube éclore,
Rêve ailé qui tremble et sent,
Effleure tout, beau passant,
Fils léger d’Aurore.

II

La vie, éclair qui s’enfuit,
Dore toutes choses,
Puis, les rendant à la nuit,
Indifférente, poursuit
Ses métamorphoses.

Un point bleu, signe effrayant
Que trace la joie,
Rit sur tout front souriant,
Mais au chagrin, trait fuyant,
Désigne sa proie.

Tu jouis : tu vas souffrir ;
Vent qui souffle tombe ;
Tout ce qui naît doit mourir ;
La fleur germe pour fleurir,
Fleurit pour la tombe.

Astre qui, sur un fond noir,
Naît, luit, vole et passe,
Chaque être est brillant d’espoir,
Mais, météore d’un soir,
S’éteint dans l’espace.

Bulle éblouissante aux yeux,
Qu’un rayon allume,
Où l’œil croit voir terre et cieux
Qu’es-tu, monde sérieux ?
Un jouet d’écume.

Donc, papillon palpitant,
Puisque monde ou rose
Ne dure, hélas! qu’un instant,
En ton vol, bel inconstant,
Jamais ne te pose.

III

L’esprit creuse pour savoir
L’effet et la cause
Mais ce monde est un miroir ;
L’esprit ne peut que s’y voir,
Et l’énigme est close.

Fouillant son problème ardu,
Au profond de l’onde,
Nuit et jour, l’œil éperdu
Sonde… mais un plomb perdu
N’est point une sonde.

Ignorants, que pouvons-nous ?
Mais cette impuissance
Ne tourmente que les fous ;
Tirons-en le miel si doux,
Miel de jouissance.

Donc, papillon, folâtrons
De la plaine aux cimes ;
Volons, demain nous mourrons ;
Rions, demain nous irons
Voir les grands abîmes.

IV

Ainsi tu fais, papillon
A l’aile éphémère ;
Et, narguant l’humble grillon,
Inquiet, par tout sillon,
Tu suis ta chimère.

Fils de l’air, quand, parcourant
Tout ton frais empire,
Tu vas butinant, errant,
Ton cœur libre, ô conquérant,
Librement respire.

Mais, fils du zéphyr, sens-tu
Ce cœur qui soupire ?
Cœur volage et combattu,
Pourquoi soupirer ? Peux-tu,
Peux-tu nous le dire ?

V

Ô papillon, de Psyché
Magnifique emblème,
En tout calice penché,
Ton cœur avide a cherché,
Recherché qui l’aime.

Sais-tu, sous le dôme bleu,
Sais-tu ce qu’on aime !
Ou ce que cherche en tout lieu
La vierge aux ailes de feu,
Cet autre toi-même ?

Dans l’Olympe radieux,
La vierge réclame
Des mortels, des morts, des dieux,
Son amant mystérieux,
Et Psyché, c’est l’âme.

Promenant par tout séjour
Le deuil que tu cèles,
Psyché-papillon, un jour
Puisses-tu trouver l’Amour
Et perdre tes ailes !

De fleur en fleur, papillon,
Et de tige en tige,
Fin d’aigrette et d’aiguillon,
Beau d’or et de vermillon,
Papillon, voltige !

Voter pour ce poème!

Henri-Frédéric Amiel Apprenti Poète

Par Henri-Frédéric Amiel

Henri-Frédéric Amiel est un écrivain et philosophe suisse, auteur d'un journal intime exceptionnel tant par son volume que par la valeur et l'universalité de son message.

Ce poème vous a-t-il touché ? Partagez votre avis, critique ou analyse !

Dans le monde de la poésie, chaque mot compte. Votre voix a sa place ici.
S’abonner
Notifier de
Avatar
guest
0 Avis
Inline Feedbacks
View all comments

Le nuage grandissant

Le plaisir le plus pur