C’est Là

Sur l’eau pas encore séparée de la nuit
d’abord se forma peu à peu
le rassemblement des rumeurs qui
au fur et à mesure de l’insertion de l’aube
entre les éléments s’animèrent
en un profond et large buisson de
clartés frissonnantes
et si
dans un sens ou dans 1 autre
longtemps hésita le passage
de l’ouïe au regard
ce n’est pas
que l’on eût la peur ni la souffrance
d’un subit éblouissement
ni le désir de mieux entendre ni
le besoin de fermer les paupières
pour mieux posséder en soi-même
les multiples reflets du dehors mais bien
pour assouvir dans la lumière
la souveraine joie
de créer l’être jamais vu
capable enfin
d’osciller entre deux mondes oui
je dis bien oui cet unique oui ce double
animal amphibie attiré
tout autant par le retour au flux natal
que par l’espoir de vaincre à la
surface de l’air frais
la pesanteur
fardeau insupportable (pourtant la seule preuve)
et quand
je vins plus près
déjà
la narine éveillée à l’embrun à la
senteur salubre du varech
c’est là
c’est bien là c’est alors
c’est là que le choc m’atteignit en plein ventre
d’une palpitation de bras et de seins
puis de cuisses de reins et de croupes
par les lueurs par l’ombre et par l’ambre
à la pleine faveur des volumes haussés puis offerts
quand tout à coup le rire
à nouveau (autant de criailleries
de mouettes s’envolant) parut désigner
l’oblique plan d’intersection
ombre vallon forêt
où puisse à l’infini d’une houle soulevée
de temps forts et temps faibles
cris de gorge et soupirs
se porter aux abords puis au fond
le désir assouvi renaissant
cependant qu’à la cime des chênes
à mille bras eux aussi condamnés
refluait la renaissante aurore
sans cesse dans la vague tour à tour
plongée et retirée
tordue et secouée
pour enfin renverser dans le songe et dans
la paix
autant de formes ici au
superbe tourment de survivre soumises
sans aucun effroi ni péché
ni regrets ni envie
pas plus que n’est menacé de je ne sais
quel immémorial tourment
le plaisir de l’or des rayons
glissés dans la
confidence heureuse des sous-bois
pas plus
que n’est caché à l’œil montant du
jour
l’amoncellement des oiseaux migrateurs
sur les terrasses des falaises ni
le hurrah
du triomphe dans le stade
bien au-dessus de
ce petit personnage seul en bas
qui s’évertue et atteint
la limite
à bout de souffle comme moi.

Jean Tardieu

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